Fiche du témoin
Julien Thomas
Julien Thomas a embarqué à 15 ans le 10 juillet 1961 sur le chalutier rochelais Le Saint-Spiridon. Il a travaillé à bord du Manuel-Joël et a connu les campagnes de langoustines dans le canal Saint-Georges entre les côtes d’Irlande et d’Angleterre. Peintre, il a offert au Musée maritime un tableau représentant la Vierge. Il évoque dans ses récits la dévotion que de nombreux marins portaient à la Vierge Marie et la prière qu’ils faisaient au départ de leur campagne de pêche en passant devant la statue de Port-Neuf.
Campagnes de langoustine sur le Manuel-Joël
J’ai embarqué comme novice sur le Manuel-Joël en 1963. J’avais alors 17 ans et déjà la responsabilité de maître d’équipage -on dit aussi bosco- celui qui était chargé du matériel de pêche et du poisson.
Sur le Manuel-Joël, chalutier classique à pêche latérale, nous étions 6. il y avait le patron, le chef mécanicien, 2 matelots, le bosco (moi) et un mousse.
Ce qui m’a le plus marqué sur le Manuel-Joël, ce sont les campagnes de langoustines. On n’en voyait pas le bout ! il fallait larguer la liasse du cul du chalut pour affaler la pochée sur le pont…et comme nous pêchions avec un chalut équipé de bourrelets qui grattait le fond, ce qui tombait sur le pont était un mélange de sable, de vase, de coquillages…et de langoustines. On était toujours à genoux à gratter et à trier. Dès que nous étions arrivés sur les lieux de pêche, il n’était plus question de penser à autre chose : il fallait virer le chalut, larguer la pochée, refiler, trier le parc, laver, glacer et ainsi de suite et cela jour et nuit. Entre chaque coup de chalut – et si nous n’étions pas de quart- on s’allongeait sur notre bannette tout habillé avec les jambes dehors, cuissardes au pied…jusqu’à la prochaine virée. Sans exagérer, il arrivait que nous passions près de 24 heures sans dormir plus longtemps qu’une demie heure d’affilée. Il est même arrivé que nous dépassions les 70 heures avec le déchargement à Douarnenez.
Nous, les Rochelais, nous étions assez loin des bancs de pêche. Il nous fallait trois jours pour monter et pour commencer à mettre en pêche entre l’Angleterre et l’Irlande. Quand on n’avait plus de glace, on interrompait la marée pour déglacer à Douarnenez.
On utilisait très peu d’eau. Sur le Manuel-Joël, on n’avait même pas un seau d’eau pour se laver par marée et par homme. Cela paraît peu, mais en fait , moins on en a, moins on en utilise ! C’est comme quand on est à table et que l’on a très peu de pain, à la fin du repas, il en reste toujours car tout le monde s’est rationné ! Quand on arrivait à Douarnenez, on était censé se laver car on avait déjà fait une marée.
En fait, on débarquait notre poisson et on repartait vite dès que le gazole était fait et que l’on avait embarqué nos vivres et la glace. .. Et on ne s'était toujours pas lavé !
Plus on est fatigué moins on a envie de se laver… A la fin de la deuxième marée, on redescendait à la Rochelle et là on avait nos 10 litres d’eau et on se lavait dans le poste comme on pouvait. Il faut savoir aussi que se laver n’était pas le premier souci d’un marin : en mer on n’a pas la même crasse qu’à terre. Ca va sûrement en faire rire certains, mais c’est vrai, il n’y a pas de poussière. On vivait confiné dans l’odeur du poisson mais on ne s’en apercevait pas. On s’aspergeait d’eau de Cologne ! D’ailleurs, dans la panière du marin, il y avait toujours une bouteille d’eau de cologne, ça aidait bien !
Nous vivions dans l’humidité permanente : le sel qui se déposait sur nos vareuses les empêchait de sécher complètement et les rendait rigides et inconfortables. Nous étions irrités par le frottement des manches aux avants bras.
Nous n’avions pas de gants et nos mains étaient calleuses. Nous avions des fissures profondes aux jointures des doigts occasionnées par le travail à embarquer le filet sur le bord du pont. C’était très douloureux surtout quand il fallait reprendre le travail après un moment de repos. Au bout de quelques minutes, avec l’activité et l’humidité, c’était reparti, on n’y pensait plus !
Par pudeur, on en parle rarement, mais pour faire nos besoins par mauvais temps, ce n’était pas toujours triste ! Imaginez, nous étions assis, les fesses à l’air le long de la lisse tenant fermement potences ou funes, juste avant le chien, de préférence sous le vent…
Tonnage de langoustines
Cela dépendait des marées. Mais il faut savoir que les langoustines, ça prend du volume. Un panier de langoustines plein à ras bord - je parle des paniers en osier de l’époque- cela faisait seulement 20 à 25 kg contre 30 à 35 Kg pour un panier de merluchons. On rentrait souvent avec 2 à 3 tonnes de langoustines et avec du divers, c’est à dire tout ce que l’on peut trouver dans le canal de St Georges ou en montant dans le nord : merlans, poissons plats, raies, chiens de mer, touilles, roussettes...
Zones de pêche
Pour les langoustines, c’était surtout le canal St Georges. Quand la langoustine se faisait rare, nous allions pêcher la sole dans la baie de Liverpool et jusque dans le sud de l’île de Man.