Fiche du témoin

Franck Morin

Franck Morin n'est pas né dans une famille de marin. Mais, il voulait embarquer sur un bateau et à 14 ans, avec une dérogation, il monte à bord du "ruban bleu" de l'époque : l'Angoumois. II nous raconte sa découverte du travail de marin-pêcheur et le rude apprentissage du mousse.

Navires

Version imprimable

Franck Morin, mousse sur l’Angoumois

Un interview d'Yves Gaubert

 

 « J’ai toujours voulu devenir marin pêcheur. Mes parents étaient marchands de fromage. Nous avions vêcu à paris puis près de Pons en Charente-Maritime. Rien à voir avec ce milieu...mais j’ai tout fait pour embarquer.

A l’époque il fallait avoir 16 ans pour entrer à l’école maritime en pêche, j’ai eu une dérogation. J’ai trouvé un embarquement, à 15 ans, sur l’Angoumois, armé par la Sarma. La première marée a été très dure. Je n’ai pas été malade, mais le mousse est en butte aux violences physiques des matelots. Cela a changé quand je suis devenu matelot, j’ai commencé à me rebeller. A partir de ce moment-là, j’ai été respecté. Quand ils ont vu qu’ils tombaient sur un mur, ils ont accepté les conditions que je leur imposais. La première fois que je suis allé à bord, j’étais accompagné de mes parents. Ma mère est montée à la passerelle en demandant : « faut-il que je lui mette un pyjama dans ses affaires ? » Le gars a répondu : « Madame, s’il a le temps d’enlever son ciré et ses bottes, ce sera déjà pas mal ! » On pouvait passer 72 heures sur le pont. Quand on se couchait , on n’en pouvait plus. Le temps de sommeil dépendait de la météo. Souvent le chalut s’accrochait, s’il fallait réparer on ne comptait plus nos heures. On avait deux chaluts dont un de secours. Il nous est arrivé de déchirer un chalut, de mettre l’autre à l’eau, il se déchire aussi et il faut réparer et personne ne dort. Le cuisinier et les mécaniciens ne montaient jamais sur le pont pour aider aux réparations.

J’ai arrêté la pêche parce que je m’apercevais que ce que je pouvais faire me rapportait de moins en moins. J’ai navigué 11 à 12 ans.

Comme je ne voulais pas rester simple matelot, j’ai décidé à 18 ans de passer mon brevet de lieutenant. Je suis parti à La Cotinière, j’ai commandé des bateaux en remplacement. Je naviguais sur des côtiers, des 15 mètres pour des marées de 3 jours, sur des profondeurs de 80 à 100 mètres. Un jour, j’ai pêché un cadavre. Je me suis dit pourquoi moi ? Le corps était accroché à la chaîne du panneau. Mon matelot a dit : « Viens voir , moi je peux pas ». Il y avait un gars qui n’avait plus de tête et qui pendait.

J’ai prévenu le Cross Etel : « Dites nous comment il est habillé, etc. ». Il a fallu que je me démerde. J’avais interdiction de remonter le corps à bord. « Il faut que vous mettiez une bâche ». J’ai répondu : « c’est pas possible ». J’avais débrayé, le corps a basculé. « Il vient de se décrocher, je ne peux rien faire ». Cela m’a embêté pour la famille mais que faire ? Plus tard, il a été repêché par un bateau des Sables d’Olonne. C’était un plaisancier tombé d’un bateau. Une semaine après, un patron de pêche de La Cotinière a pêché la tête.

C’était dans mes premières marées de patron. La pêche côtière était plus rentable. Dans ce petit port, les marins n’ont jamais baissé les bras. Quand ils faisaient une pêche et que ça ne fonctionnait pas, ils cherchaient. Ce sont de vrais pêcheurs. On faisait la sole la nuit, la langoustine le jour. C’était sur le Tanganika. Le patron ne prenait aucune initiative, il suivait le bateau de son ancien patron. Quand je le remplaçais, je relevais mon chalut, j’éteignais tous mes feux et je partais pêcher ailleurs. Ce qui m’a intéressé, c’est de chercher. Je vendais plus que l’ancien patron.

On travaillait avec des tables traçantes. Je m’éclatais. Les seuls moments de plaisir que j’ai eu dans ce métier, c’était quand j’étais patron. Après j’ai travaillé en aquaculture à la ferme des Baleines avec Bernard Houin.

J’ai contacté le musée maritime de La Rochelle par internet quand j’étais au Mali où j’ai vécu 3 ou 4 ans. J’ai vu l’opération « Alors raconte » j’ai écrit mon témoignage sur l’Angoumois, un sacré bon bateau., Le patron c’était Joseph Puillon, quand j’étais mousse. La violence des matelots, c’était les claques sous l’empire de l’alcool ; Quand je suis passé matelot j’ai formé un mousse : je lui ai expliqué à quoi il fallait s’attendre, je l’ai guidé, moi je ne l’avais pas été. Quand on embarque, enfant, on est complètement seul. On ne s’attend pas à être frappé pour rien. Sur 12 bonshommes, il y en avait 9 de bourrés à l’embarquement. Un jour, pour la route il y avait deux matelots de quart, le pilote automatique s’est débranché, le bateau a tourné pendant deux heures. Le matelots étaient bourrés et n’ont rien vu. Ils se dessoûlaient à bord. C’était un bateau sec, alcool interdit.

J’ai perdu une vingtaine d’amis en mer, des bateaux coulés. La Cotinière, c’est hyper dangereux. A la sortie, c’est que de la roche. En tant que patron, j’ai pris des risques énormes. Les bateaux étaient poussés à bout.

Je devais être prof de pêche à Sao Tomé près de Dakar. J’ai fait la bêtise de ne pas accepter. Au Mali j’ai ouvert une boutique de location de DVD. Aujourd’hui, j’ai un petit bateau au port de pêche de La Rochelle et je pêche à la mitraillette, comme plaisancier. »

 

Ville de la Rochelle Musée DRAC Poitou Charentes FAR Ami du musée