Fiche du témoin
Franck Morin
Franck Morin n'est pas né dans une famille de marin. Mais, il voulait embarquer sur un bateau et à 14 ans, avec une dérogation, il monte à bord du "ruban bleu" de l'époque : l'Angoumois. II nous raconte sa découverte du travail de marin-pêcheur et le rude apprentissage du mousse.
Navires
Premiers embarquements sur l’Angoumois
Un récit de Franck Morin
Personne dans ma famille n'appartenait au milieu de la pêche, et il a fallu que je persuade mes parents de m’inscrire à l'école maritime de La Rochelle. A l'époque, il y avait deux sections : d'un côté l'école de pêche, et de l'autre, la conchyliculture. Etant trop jeune pour entrer à l'école de pêche, je suis rentré en "conch". Après un an d'étude, j'ai obtenu mon C.A.M : Certificat d'Apprentissage Maritime. Mais, je n’avais pas changé d’avis : je voulais être marin ! J'ai demandé à un professeur de la section pêche de me trouver un embarquement dans le port de La Rochelle, il m'a obtenu un rendez-vous avec le directeur de la SARMA (armement de l'Angoumois).
Après un entretien rapide, puis une demande de dérogation auprès des affaires maritimes - car l'âge pour embarquer était à l'époque de 16 ans et j'en avais 14 – Quelque temps plus tard, j’ai embarqué avec 11 personnes sur l’Angoumois, le "ruban bleu " de la Rochelle. J’ai constaté que la vie pour un mousse était très difficile. Le matelot était plus tranquille, car toutes les corvées étaient pour moi. Je travaillais sur le gaillard lors du relevage du chalut : mon travail était de "délover" un câble d'acier qui servait à remonter le filet. A plusieurs reprises, il m'est arrivé de me faire balayer par des vagues mais malgré tout, je suis toujours là! Après avoir relevé le chalut, nous ouvrions la porte du trunque pour vider les poissons. Aussitôt, le chalut était remis à l'eau et c'est alors que nous descendions pour travailler le poisson. Il fallait dans un premier temps le mettre dans des paniers en les triant par catégories, ensuite, nous les mettions sur le tapis roulant. A l'époque, dans les années 80, il n'y avait pas de tapis électrique, tout se faisait a la main. L’étape suivante était l'éviscération, puis, le lavage, l'égouttage et la descente en cale pour le glaçage. C'est alors que j'intervenais pour casser la glace avec une pioche. Les premiers jours de mer, la glace était relativement friable, jusqu'a devenir un bloc en fin de marée. A ce moment, mes mains se transformaient en une grosse ampoule de sang. Mais pour moi, pas de répit ! Surtout, ne pas montrer de marque de faiblesse car les matelots n'attendaient que cela pour se distraire ! beaucoup de marins avaient des problèmes avec l’alcool : j'ai vu des mecs en manque boire de l'eau de Cologne et devenir très agressifs envers moi, le mousse...
Le glaçage fini, lorsque nous avions beaucoup de poissons, il fallait parfois fermer la porte des toilettes pour ne pas que les poissons passent par le trou!! Il nous arrivait régulièrement de passer 48 a 72 heures sans dormir. Le bosco et moi, nous préparions des pièces de rechange pour le chalut : des ailes, des dos, tout ce qui fait un chalut ! Ensuite, il fallait mettre le couvert des matelots, amener les plats, puis débarrasser la table. Le travail du mousse ne s'arrêtait pas! J'ai aussi le souvenir de ce matelot qui, par un jour de tempête, s'était fait couper la jambe par un panneau. Je revois le patron descendre de sa passerelle pour aller l'engueuler en lui disant : « par ta faute, nous allons perdre 3 ou 4 coups de chalut.. ». En effet, l'hélitreuillage était impossible, le temps était trop mauvais. Nous avons dû rentrer à Killibecks dans le Nord-Irlande où nous ne sommes arrivés que le lendemain. J'ai aussi le souvenir d'avoir été dans le carré des officiers avec le cuistot pour écouter la météo au moment où un avis de grand frais était lancé : 12 beauforts, c’est à dire un ouragan ! Le maximum ! Mais pour le patron, pas question de rentrer. Il a mis le bateau à la cape, c'est à dire face à la vague, avec des creux de 15 a 20 mètres et ce pour une durée indéterminée ! Pour le mousse, enfin un peu de répit ! Mais, imaginez dormir tout en sautant dans votre couchette !! Pas facile, mais la fatigue aidant, le sommeil arrivait.
Franck Morin, le 20 février 2007