Fiche du témoin

Philippe Harlé

Parce qu’il avait toujours le souci de faire des bateaux qui soient à la portée du plus grand nombre, l’architecte naval Philippe Harlé contribua largement à la démocratisation de la voile. Il apprend l’architecture navale pendant les loisirs que lui laissent ses études à l’Ecole Supérieure de Physique-Chimie de Paris, sur des livres américains. A l’époque, il n’y avait pas d’école d’architecture navale. L’Armagnac, le Muscadet, le Juliénas, le Sangria… Philippe Harlé a dessiné plus de deux cent vingt types de bateaux différents.

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Noms des bateaux de Philippe Harlé

 Un texte de Claude Harlé

Je ne peux pas parler du Fantasia sans évoquer le chantier Jeanneau.

La rencontre de deux personnalités Henri Jeanneau et Philippe Harlé est presque un hasard  -après les turpitudes de Mai 68-. Une conversation avec Olivier Gibert qui a flairé le talent d'un jeune architecte créatif en devenir. Il en informe Henri, dont la réponse fut brève "d'accord pour Harlé, mais si vous vous plantez, je vous vire"...


fantasia

Les fins de mois étant encore difficiles, le Sangria fut notre belle étoile; début d'une longue histoire de bateaux et de mer. Relations de confiance entre un chantier, un architecte pour associer "conception/réalisation/qualité".

Des Herbiers, le prototype est mis à l'eau à La Rochelle, avec le staff du chantier. Dès les premiers bords le bateau passait sur sa barre. Qu'àcela ne tienne, on le pose le long de la digue de Port Neuf, transporte le safran sur l'établi de notre maison un peu plus loin, quelques coups de rabot et nuitamment il est remis à sa place sans autre témoins que l'équipe présente et motivée. Au petit jour tout va bien. L'avenir nous le confirmera (3000 bateaux construits).

A cette époque on "réalisait", on "choisissait un nom" et seulement après, on parlait "finances" sans contrat écrit.

Donc, ce soir-là, au milieu des copeaux, on évoque un "chiffre". Jeanneau dit : "je vous propose 1% par bateau". Non, répond Philippe, "je voudrais 1,5%". Silence prolongé des deux côtés. Puis Jeanneau dit : "je vous donne 1% jusqu'au 150 ème et au-delà 2%, car si je vends 150 bateaux, j'aurai bien gagné ma vie, normal que vous ayez votre part". On échange un regard complice avant de répondre OK.
A l'époque, construire plus de 150 bateaux identiques n'était pas encore dans les normes.
Un an et demi après nous étions à 2%...


Ce succès inespéré a non seulement conforté la position d’Olivier Gibert au sein de l'entreprise... mais aussi l'architecte comme étant le "bon choix" ... Il s'en suivi la naissance de Folie Douce, nommée plus tard

Brin de Folie, œuvre du binôme Finot/Harlé, choisi intentionnellement par Jeanneau.... A la question : qu'as-tu dessiné ? Réponse simple : "Moi j'ai dessiné bâbord et Jean-Marie tribord"...
Dans cette aventure partagée, il n'y a pas eu de "bis"...ni d'honoraires à 2%.... pour d'autres créations non partagées : Aquila, Fantasia devenu plus tard Sunway 27, Bahia ,Tonic 23, puis au chantier de Marans : Tequila Sport, Gib Sea 33 et 35.

Choisir des noms pour nos bateaux, a toujours été une décision murement réfléchie, tant que nous avons pu garder la maitrise de ce choix.
Ce qui fut le cas pour tous les bateaux en contreplaqué, dès 1962 : Muscadet, Cognac, Armagnac, et les autres portant des noms aux odeurs de nos vignes.... ainsi qu'une génération d'unités en plastique et aluminium : Romanée, Beaujolais, Tequila, Scotch, Sangria pour ne citer que les plus connus. 

Nous faisions ce choix en accord avec le constructeur. Mais au fil du temps, les noms de "boissons" ne faisant pas toujours l'unanimité, nous avons recherché des noms qui ne risquaient pas d'être ridiculisés. (Gymnastique de l'esprit assez amusante), et constaté que les noms portant des A étaient faciles à prononcer

et doux à l'oreille. Ainsi est né le Fantasia, Bahia et d'autres bateaux.
Puis les constructeurs ont senti le besoin de faire la promotion de leurs "produits" par une communication forte et personnelle en s'appropriant le choix du nom de leurs bateaux. Ainsi est apparue la neutralisation, je dirais la banalisation au détriment de la personnalisation des créations d'un architecte : Sait-on aujourd'hui que Philippe et Alain Mortain ont dessiné 5 ou 6 bateaux nommés tous Feeling,  4 ou  5 bateaux  Etap ?
Nous avons vécu une belle époque de créativité, de relations personnelles avec les constructeurs, en particulier Jeanneau, Aubin, Garcia, dans la rigueur, le respect de la parole donnée, l'écoute et la fidélité à l'égard d'un architecte qui, donnant le meilleur de son talent, a toujours trouvé sa juste récompense.

                                                                                                                                                                                  Claude Harlé

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