Fiche du témoin

Jean-Claude Cabillic

A 11 ans, Jean-Claude Cabilic embarque comme mousse sur les sardiniers d’Audierne…Il terminera sa carrière comme capitaine au remorquage à l’URO à La Pallice où il a commandé le remorqueur Saint-Gilles. Il a été marqué tout particulièrement par ses années passées à bord du cargo frigorifique le Pêcheur-Breton appartenant à l'Armement Coopératif Finistérien et les évoque avec réalisme et sobriété.

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Hommage aux marins

Un texte de Jean-Claude Cabilic

En repensant à ma carrière, j’ai une pensée émue pour ces marins, en particulier ceux de la pointe de Bretagne, grâce à qui j’ai appris dès mon plus jeune âge que je ne devais jamais tricher avec ce métier, que nous faisions partie d‘une même et seule famille et surtout qu’il ne pouvait pas y avoir de bons marins sans solidarité maritime. Ils m’ont aussi et surtout mis en garde de ne jamais donner mon avis qu’en y étant invité et en parfaite connaissance du sujet. Ces gens-là ne faisaient jamais « semblant » et ce n’est pas le premier simulateur ou bonimenteur venu qui aurait pu les « mener en bateau ». Je les revois encore sur le port, à l’abri du vent, essayant de dissimuler leur inquiétude les jours de gros temps lorsqu’une unité de la grande famille maritime n’était pas rentrée au bercail et « poussant la blague » les jours de temps plus clément. Beaucoup de marins ne sont plus de ce monde et s’ils revenaient parmi nous, ils verraient qu’ils ne s’étaient pas trompés lorsque, l’œil malicieux, un petit sourire ironique au coin des lèvres, ils commentaient telle déclaration ou telle décision d’un « instruit quelconque » qui n’avait rien compris à ce monde de « gens simples » mais pas dupes, qui ne demandaient qu’une chose : subvenir dignement aux « besoins des leurs ». Le présent nous prouve que nos anciens avaient raison d’être méfiants. Ils nous avaient légué un patrimoine maritime extraordinaire et si l’on se penche aujourd’hui sur l’état des lieux, les bilans économiques et sociaux, il n’y a vraiment pas de quoi « pavoiser ». « Faute à la conjoncture », expression magique, expression passe-partout, que l’on entend sans arrêt ici et là, mais qui n’explique pas tout. Et sans sombrer dans un pessimisme excessif, je crois qu’il n’est plus temps de « corriger la dérive », mais de « changer de cap ». On peut encore s’en sortir et rivaliser avec les meilleurs si l’on n’occulte pas le fait qu’il existe sur le terrain des gens déterminés, dotés d’un savoir-faire et de potentialité que l’on nous envie. Il y a dans nos écoles des jeunes qui n’ont ni appui, ni argent, mais de l’intelligence à revendre, mais aussi et surtout la passion du métier. Ce sont ces jeunes-là qu’il faudra vite déceler et aider car l’avenir de la Marine Marchande passe par eux. Cette profession ne devrait être « embrassée » que par vocation. Elle ne devrait jamais être un pis-aller pour quiconque. Ceux qui me connaissent savent que je suis tout sauf un frondeur. Mais comment ne pas l’être un peu  lorsqu’il m’arrive de rencontrer un ancien camarade d’E.A.M. qui, comme moi, a fait flotter le pavillon national sur toutes les mers du globe, et que je lui demande ce qu’il fait, c’est souvent la même réponse : «Au chômage, mon vieux !». Comment ne pas avoir le cœur qui se serre et dans la gorge quelque chose qui ressemble à un souvenir de matelotage ? Je me rends compte aujourd’hui du privilège extraordinaire que j’ai eu d’avoir côtoyé très jeune, des hommes de cette trempe qui m ‘ont marqué à vie et qui resteront toujours dans ma mémoire et que je n’ai pas le droit de décevoir. Je rends hommage à leur génie, à leur courage et à leur simplicité qui n’ont d’égal que leur dignité hors du commun. En évoquant ces marins contemporains mais déjà d’un autre temps, je me dois de citer le philosophe grec, Platon : « Il y a trois sortes d’homme, les vivants, les morts et ceux qui vont sur la mer ! ».

 

Jean-Claude Cabillic - La Rochelle, le 27 avril 1992.

 

 

 

 

 

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