Fiche du témoin
Jean-Claude Cabillic
A 11 ans, Jean-Claude Cabilic embarque comme mousse sur les sardiniers d’Audierne…Il terminera sa carrière comme capitaine au remorquage à l’URO à La Pallice où il a commandé le remorqueur Saint-Gilles. Il a été marqué tout particulièrement par ses années passées à bord du cargo frigorifique le Pêcheur-Breton appartenant à l'Armement Coopératif Finistérien et les évoque avec réalisme et sobriété.
Navires
A 11 ans, j’embarque comme mousse sur les sardiniers d’Audierne…
Un texte de Jean-Claude Cabilic
On a l’habitude de demander aux enfants « qu’est-ce tu feras plus tard ? ». Je dois dire que dans mon proche, voire lointain entourage, on ne m’a pas souvent posé la question, tant il était impensable que je fasse autre chose que le métier de mes aînés depuis des générations. A vrai dire, je crois que je ne me la suis jamais posée moi-même. J’ai été « amariné » dès mon plus jeune âge en accompagnant fréquemment mon père à la pêche à la sardine en baie d’Audierne ou à la langouste dans les parages d’Armen.
Dès l’âge de 11 ans j’embarque comme mousse avec demi-rémunération sur les sardiniers d’Audierne durant la saison. Cette pêche se pratiquait, en ce qui nous concernait, dans les parages des Sables d’Olonne à partir de début juin, pour se terminer en baie de Douarnenez en septembre-octobre. Je ne pourrais jamais oublier l’odeur de la rogue, du gas-oil, de la cigarette (celle des autres)… à deux ou trois heures du matin, pas plus que celle de la paille humide qui garnissait la « paillasse » qui me servait de matelas ; encore étais-je privilégié car plusieurs marins en supplément d’effectif pour la saison sardinière, devaient se contenter des sacs de tourteau stockés en cale et qui étaient destinés à la préparation de l’appât. Malgré mes années scolaires, quelques peu écourtées et la rédaction de mes devoirs de vacances quelque peu ou complètement oubliée, en juin 1958, à l’âge de 14 ans j’obtiens à quelques jours près, mon Certificat d’Etudes Primaires, mon B.E.P.C., mais aussi et surtout mon premier « fascicule » qui me permet d’embarquer, cette fois officiellement, sur le sardinier l’Abbé-Pierre jusqu’à la prochaine rentrée scolaire.
Tradition familiale, mais surtout milieu modeste oblige, je suis entré en octobre 1958 à l’Ecole Maritime d’Audierne alors que des camarades plus âgés (à part un), et plus fortunés, ont poursuivi des études supérieures qui se sont même avérées brillantes, pour certains d’entre eux. Je les avais toujours gardés dans mon « rétroviseur », sans pourtant jamais trop appuyer sur le « champignon ». Avec le recul, je ne regrette rien car, comme beaucoup de marins de ma génération et de ma condition, j’ai appris « sur le tas », à l’école du terrain, à l’école de la vie, et dans cette université-là on ne peut pas « sécher les cours ». J’ai eu une chance extraordinaire d’appartenir à cette génération de marins qui a connu l’âge d’or de la navigation, époque faste où les offres d’embarquement étaient supérieures à la demande, où l’on entrait à E.A.M. ou à l’Hydro, par vocation et où l’on choisissait de servir sur un navire selon ses motivations. Tout cela semble proche et lointain à la fois et de plus en plus on rentre dans les écoles de la Marine Marchande parce qu’on a réussi le concours bien sûr, mais aussi parce qu’on a raté celui des PTT, de l’EDF… conjoncture oblige. Ces temps heureux sont révolus, je doute qu’ils reviennent de sitôt. Mais on peut toujours rêver…
Jean-Claude Cabillic