Fiche du témoin

Claude-Jacques Thomas

Claude-Jacques Thomas, surnommé Doudou, n’est pas un personnage ordinaire. Il est né en mer, en 1929, entre New-York et le Havre d’une mère Bretonne du Finistère et d’un père du Béninois. Après avoir embarqués sur les Terre-Neuvas, les classiques et les pêches-arrière, il a été guide au Musée Maritime de La Rochelle. Il a écrit un manuscrit poignant « Des navires et des hommes » dont nous publions ici quelques extraits.

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Le chef frigoriste

Démouler, c’est le dernier stade avant que les pains de filets de morues surgelées, soient stockés en cale. Autant que faire se peut on trie du poisson salubre dont le poids varie entre deux kilos trois cent et deux kilos six cent.

Après plusieurs tests, il nous est apparu que pour une question de présentation, il vaut mieux fileter la morue deux heures après sa sortie de l’eau qu’immédiatement. La chair d’un poisson mort, surtout s’il a été saigné, est blanche et flatte l’œil.Ce même poisson fileté vivant, fournira un bloc rose veiné de sang, indice de fraicheur, mais moins agréable à regarder. Il est d’ailleurs regrettable que beaucoup de gens dégustent plus avec leurs pupilles qu’avec leurs papilles.


Tri du poisson à bord du Primauguet - coll. Gérard Montiagoudo

Première opération, donc, les trieurs d’un œil entrainé repèrent les morues filetables, les saignent d’un coup de couteau au cœur ou sur les branchies et les emmagasinent dans le parc prévu à cet effet. Autour d’une table, posée sur les planches du dit parc, quatre hommes armés d’un couteau (à découper), puisent dans la réserve où le poisson finit par se vider de son sang. Ils extraient les deux filets de leur couteau et tranchent l’arrête. Le ventre, dont l’intérieur présente une peau noire (le péritoine) est enlevé. Cette opération permet également de supprimer la rangée de petites arêtes non attenantes au squelette principal.

Dans un grand bac carré où l’eau circule sans arrêt, les filets sont lavés par brassage d’eau, puis rincés dans un second bloc, avant de passer sur le tapis roulant de la dépiauteuse. Ils s’égouttent finalement dans une goulotte percée. Là, va commencer le travail des frigoristes. Seize godets pratiquement parallélépipédiques réunis dans un cadre rectangulaire en quatre rangées de quatre, reçoivent chacun trois à cinq filets selon la grosseur. Cela donne un kilo de chair sans arête. Chaque moule est fermé par un couvercle appuyant sur le poisson à l’aide d’un ressort. L’élasticité du ressort permet l’augmentation du volume des filets à la congélation. Trois compresseurs produisent suffisamment de froid pour descendre la température du tunnel à - 40 degrés. Un transporteur de chaine permet d’enfourner trois plateaux superposés par une porte à glissière, placée sur la partie arrière du tunnel, qui donne dans la cale qui elle est maintenue constamment à -20 degrés centigrades. Le déplacement manuellement vers l’avant après un passage de deux heures dans cet air à -40° pulsé par deux ventilateurs. Les plateaux sont défournés tous les jours, trois par trois par la porte avant. Pour démouler les blocs, on renverse le plateau sur un rectangle métallique, s’adaptant juste à ses bords et monté sur excentrique. Une arrivée d’eau de mer sur l’extérieur du métal, le réchauffe largement. Le démouleur met l’excentrique en mouvement à l’aide d’une manivelle. Le plateau est secoués, les blocs quittent le moule et sont reçu dans une glissière par laquelle, ils prennent le chemin de la cale. Quand les godets sont vides, à l’aide d’un robinet à trois voies et d’une rampe mobile, on renverse l’arrivée d’eau. On lave l’intérieur et le plateau retiré de la démouleuse est prêt à être rempli. Nettement en dessous des prévisions, la production hebdomadaire atteint 15 à 18 tonnes.

Tous les jours, la bordée se lève à 6 heures du matin, capelant la canadienne au lieu de la vareuse cirée, descend dans la cale. Les pains en carton de vingt et les arriment. Il va sans dire que, pour atteindre la production, il faut alimenter sans discontinuer. Les temps morts ne se rattrapent pas. On ne peut compenser les arrêts pour dégivrage par une production accélérée. Le poisson doit être surgelé à cœur d’où les deux ventilateurs obligatoires dans le tunnel.
L’irrégularité de la pêche durant ce 1er voyage 1952 n’a pas rendu le travail plus facile.

 

 Claude-Jacques Thomas

 

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