Fiche du témoin

Marcel Richard

Le grand-père de Marcel Richard était chef de gare et sa vocation était d’être cheminot… pas marin ! Le sort en a décidé autrement et après une formation de tourneur sur métaux, il embrasse la carrière de marin comme pilotin machine à bord du Rochefort de la SNDV (Société Navale Delmas-Vieljeux). C’est ainsi qu’il montera pour la première fois à bord du France I comme ouvrier mécanicien en décembre 1960. Il cessera de naviguer quelques années plus tard pour travailler pendant 40 ans au Bureau Veritas

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Marcel Richard : Officier mécanicien et expert au Bureau Veritas

Entretien avec Yves Gaubert

 J’ai commencé comme pilotin machine sur les Liberty Ships de chez Delmas. J’ai terminé ma carrière de naviguant en tant qu’officier mécanicien. Je suis originaire de la Haute Vienne, mais je suis venu à l’âge de 5 ans à La Rochelle. J’y suis arrivé en même temps que les Allemands, donc j’ai connu toute la guerre. J’avais un CAP de tourneur sur métaux et je ne suis pas passé par l’école maritime. J’ai fait mon service dans la Marine nationale au moment de la guerre d’Algérie. J’ai quitté la marine marchande pour me marier et je suis entré au Bureau Veritas. J’ai arrêté de naviguer en 1969, à 33 ans. Quand j’ai atteint mes 60 ans, j’ai pris ma retraite pendant 3 mois et le BV m’a demandé si je ne voulais pas revenir.

J’ai travaillé en free lance pour monter un nouveau service qui traitait d’analyse de risques, à raison de 3 jours par semaine. Puis je suis revenu à plein temps en tant qu’ingénieur conseil et j’ai fait 14 ans supplémentaires. J’ai pris ma retraite, il y a deux ans, à 74 ans.

J’étais au BV à Paris et j’ai beaucoup voyagé pour faire les expertises à bord des navires, suivre les constructions de par le monde. Je suis venu souvent au chantier naval de La Pallice. J’étais spécialisé dans l’automatisation des navires.

 Mon premier embarquement était sur un Liberty qui s’appelait le Rochefort. J’ai connu le commandant Couvert qui a commandé le Ville de Lumière qui est allé sauver les boat people avec Kouchner. Et je l’ai revu longtemps après dans les bureaux de Delmas à Paris au titre du BV. Les dernières années, j’ai navigué pour une compagnie, Courtage et Transport, plus ou moins affiliée à Delmas, sur le  qui appartenait aux deux compagnies.

Je faisais la côte d’Afrique, grumes, cuivre, coton pour la France, la Belgique, la Hollande, l’Allemagne (la tournée du Nord). Pendant la tournée du Nord on embarquait les femmes. Ça mettait une ambiance particulière parce qu’il fallait loger les femmes. Pour les marins qui étaient à deux ou trois dans une cabine, il fallait s’arranger pour que certains dégagent dans une autre cabine. Pour l’Afrique, on passait par les Canaries pour mazouter (pétrole pas cher), puis Port Etienne (Mauritanie) pour décharger du ciment et de l’eau potable, puis Dakar, ciment, matériel divers, Conakry, Côte d’Ivoire où on embarquait 70 noirs, des crewmen, pour charger les grumes. Ce qui posait un problème car le navire était fait pour 42 hommes. Des aménagements avaient été faits à l’arrière avec des planches. Les chefs cacatois avaient un aménagement un peu particulier. Ils se faisaient leur propre cuisine. On allait à Abidjan, Cotonou, Lagos, Douala, Libreville, Port Gentil et ça se terminait à Pointe Noire.

Là on chargeait des saumons de cuivre, du coton, des grumes et on les déchargeait à partir de La Pallice.

J’ai navigué sur plusieurs Liberty, Rochefort, La Rochelle, l’Argentan et le Port en Bessin. Mon rêve serait de remettre une machine de Liberty en service. La machine était impressionnante, les trois bielles et les tiges de piston étaient à nu. Le travail du mécanicien était de surveiller la température de toutes ces articulations. Il fallait mettre la main dessus, une tête de bielle qui tourne à 60 tours/minute. Il fallait glisser la main bien droite entre la joue de vilebrequin et la tête de bielle. C’était en fonction de la couleur de l’huile et du contact avec la main qu’on savait si le graissage se faisait bien. C’était un graissage à huile perdue, ça tombait dans la cale et les pompes l’envoyaient à la mer. Ces machines ne faisaient pas de bruit.

J’ai navigué sur le France I et sur le France II. J’ai commencé sur le France I en 1960 et 61 et le France II en 62, 8 à 9 mois à chaque fois. J’ai connu les trois points, A, J et K. Sur le France I, on a failli faire naufrage, des creux de 15 mètres et on est tombé en panne de propulsion. Par très mauvais temps, on tient le navire à la cape, presque face à la lame. Les 2 000 chevaux à plein régime, on étalait à peine. Une vague a coiffé le navire et a atterri sur les claires voies. Elles auraient du être fermées, mais il y avait des fuites et des gaz d’échappement à l’intérieur malgré la ventilation. La vague est tombée sur le panneau de propulsion électrique et tout a disjoncté. Le navire a commencé à tomber en travers et les vagues ont commencé à nous coucher. L’inclinomètre qui va jusqu’à 42° est arrivé en bout. On a réussi à remettre en route. Le commandant : « A cinq minutes près, je ne répondais plus de rien. »

Ensuite, j’ai passé les brevets de mécaniciens à l’Hydro à Nantes, second mécanicien. Et c’est là où j’ai été embarqué chez Courtage et Transport. J’ai été pris en pied, je connaissais bien le bateau, après 8 mois de bord, j’étais prêt pour partir en vacances et là presque tout l’équipage partait. On faisait du tramping. Je suis resté le seul mécanicien à connaître le bateau. Nous sommes partis d’Angleterre à Galveston aux USA embarquer une excavatrice géante destinée à l’Australie. On est allé par le canal de Panama. Le commandant m’a dit, on passe juste à Tahiti, j’aimerais bien m’y arrêter, ce qui m’arrangerait bien c’est qu’il y ait une petite panne machine. On a mouillé au large de Tahiti et les amis du commandant sont venus. Entre Tahiti et Adélaïde on a eu du mauvais temps avec les éléments de l’excavateur en pontée, c’était très embêtant. Le commandant a eu un infarctus. Le commandant est resté à Adélaïde. On est reparti pour le Japon puis la Chine en pleine révolution culturelle (en 1966). Je me suis promené à Shanghai en tricycle. Il y avait des ponts en arc de cercle à passer, le type descendait du tricycle et poussait à la main. En applaudissant les gardes rouges, ils venaient nous pousser. On avait chargé du spath fluor qui servait de fondant dans les aciéries. On est reparti vers Djibouti par Singapour, mais on a été dérouté sur Aden, puis le canal de Suez, la Méditerranée et Le Havre, on avait bouclé la boucle.

Après j’ai fait le Fontenoy sur la côte d’Afrique. En 69, je me suis marié. J’avais un copain qui avait navigué sur le Rocroi et était entré au Bureau Veritas. C’est comme ça que j’y suis rentré.

 

Photos :

Le Rochefort (photo : Tito)

Ville de la Rochelle Musée DRAC Poitou Charentes FAR Ami du musée