Fiche du témoin

Richard Pillard

Richard Pillard a été lieutenant à bord de l’Angoumois. Il a été à l’Ecole d’Apprentissage Maritime de la Rochelle et a embarqué comme mousse sur le Saint-Patrick. S’il a terminé sa carrière comme capitaine de barge dans le off-shore, il n’a jamais oublié ses années à la pêche.

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Tempête sur l’Oeuvre

En fin de saison, nous avions décidé de faire une dernière campagne au large des îles d’Aran dans l’ouest de l’Irlande. Le temps a commencé à se couvrir la dernière journée de pêche. Le patron a décidé d’écourter un petit peu la journée. Ca avait commencé à fraîchir mais la mer était encore maniable. Comme on était en fin de pêche, le bateau était quand même toujours sur le nez … Ce bateau là, il avait un moteur de deux cent cinquante chevaux. Donc, on appareille vers deux heures du matin. J’ai pris le quart et là, le vent avait forci. La mer était vraiment forte et l’homme de quart précédent avait déjà diminué la vitesse. Chaque fois que le bateau plongeait, on était recouvert complètement… Donc, le gars me passe la consigne : « si des fois, ça fraîchit de trop, ben, tu appelles Henri…enfin, tu verras…». Ca faisait peut-être une heure que j’étais à la barre dans le noir comme ça que, devant moi, qu’est-ce que je vois arriver ? Une masse blanche dans la nuit, une masse blanche qui déferlait, un rouleau, un paquet de mer qui arrivait en déferlant sur le bateau comme un boulet de canon. Il nous prend par le tribord et là …de l’eau partout…de l’eau partout…noyé…noyé… un vacarme infernal…noyé partout ! La passerelle, qui était une vieille passerelle, qui n’était pas jointe ni rien… l’eau rentrait partout…Il y avait de l’eau… Ca rentrait par la porte arrière de la cuisine, ça descendait dans le poste d’équipage ! Aussitôt, tout le monde s’est précipité, tous les gars sont sortis à toute vitesse du poste d’équipage et se sont mis dans la cuisine. Moi, j’étais à la passerelle dans l’eau… Le patron arrive : « mais, qu’est ce qui s’est passé ? » ben… je dis « on a pris un jeton, quoi ! ». Puis, comme la mer avait évacué d’un seul coup, on s’est aperçu que le plat bord du bateau, la lisse du bateau avait été carrément arrachée de la ferme avant à la ferme arrière … Il restait un petit bout de planche qui se promenait comme ça à la mer et les paquets de mer embarquaient dessus. Le chalut qui était bridé sur la lisse traînait dans l’eau… Alors, à trois heures du matin, de l’eau jusqu’à la ceinture, tout le monde était sur le pont pour reprendre le chalut. On a essayé de le brider comme on pouvait. A chaque paquet de mer, on avait quand même un mètre, un mètre cinquante d’eau qui nous passait dessus à chaque fois… Bon, on s’est débrouillé à le saisir sur les fermes, là où on pouvait…La mer avait vraiment forcie, on était en pleine furie de temps. On était balayé par l’eau à chaque paquet de mer, on n’avançait presque pas. On ne pouvait pas retourner à terre : c’était trop dangereux. On avait le phare Blasket qu’était tout près. Il fallait qu’on double cette pointe et là on était obligé de rester comme ça donc on a lancé un appel radio. C’est Tinou, un gros bateau étellois qui fréquentait les mêmes zones de pêche qui s’est détourné. Il est arrivé prêt de nous au matin. Il est resté à distance et le gars quand il a vu l’état dans lequel était notre bateau, il a dit par radio au patron : « bon, écoutez, heu, je ne sais pas ce que vous vous voulez faire ….mais, ça serait plus prudent de mettre votre canot à l’eau. On va vous récupérer et, au moins, bon, ça sera mieux pour vous au lieu de rester comme ça… » Alors, le patron nous a dit : « Ecoutez les gars… » lui, c’était son bateau, c’était son gagne pain, « écoutez, vous prenez la décision : si vous voulez, on met le canot à l’eau et puis Tinou vous récupère » Alors, on était là, on s’est regardé et on a dit : « non, non on reste tous ! » Donc, nous sommes tous restés ! Ca serait maintenant, je crois qu’on serait parti mais à l’époque, bon, on était tous des jeunes avec un peu d’inconscience peut-être ! On est resté là donc et on a passé toute la journée comme ça avec le bateau étellois pas loin en assistance, au cas où il y aurait eu quelque chose. Dans la soirée, la mer a faibli, le vent est tombé …le coup de vent était passé. Le lendemain matin, la mer était maniable. Le patron appelle le bateau étellois qui était resté à nos côtés et lui dit « Bon, on va faire route et on va essayer de gagner le sud de l’Irlande. On ira se faire réparer à Cork ». Donc, le bateau étellois reprend sa route. On était soulagé, on se disait qu’on avait eu de la chance et que l’on s’en était bien sorti de cette histoire…Alors, on fait le tour du bateau pour faire l’état des lieux et tout d’un coup, on s’aperçoit que la paroi du gaillard d’avant se déplaçait de tribord à babord avec la houle …Le patron nous demande de dégager tout le matériel qui y était entreposé et c’est là qu’on s’aperçoit que sur le côté du gaillard tribord, il y avait trois trois membrures qui étaient arrachées…Si on prenait encore des paquets de mer, c’était dangereux de repartir comme ça. Alors, avant de repartir, on a pris les funes et on a ceinturé l’avant du bateau, on a les a bridées sur les fermes avant, sur les potences, on a raidi au treuil et puis on a commencé à prendre la route, à marcher tout doucement. La mer s’était calmée et on s’est retrouvé avec un calme plat, une mer d’huile …On s’est dit qu’on pouvait faire la traversée au moins jusqu’à la pointe de la Bretagne. Arrivé là, on a décidé de continuer et de faire route jusqu’à La Rochelle avec le gaillard défoncé, le plat bord enlevé ! La chance que nous avons eu dans cette histoire, c’est que premièrement, le moteur ne nous a pas lâchés : Il a continué à tourner sous l’eau et le mécanicien allait régulièrement dégager la crépine avec de l’eau à mi-corps ! et deuxième chance : le panneau de cale a tenu. Il était bridé avec un cadenas et, heureusement, il a tenu. Si un paquet de mer l’avait arraché, on était perdu ! On a fait les réparations, ça nous a fait huit jours de plus à terre ! Après, on a repris la mer et l’aventure a continué ! Quelques temps après en 68, le patron a fait construire un bateau neuf qui s’appelait le Rocambole. On a pris le Rocambole et un autre équipage a pris l’Oeuvre. Et quelques années plus tard, l’Oeuvre a disparu au large de La Rochelle corps et biens…

Ville de la Rochelle Musée DRAC Poitou Charentes FAR Ami du musée