Fiche du témoin

Bernard Moitessier
Né en 1925 en Indochine où il passe son enfance, il a appris à naviguer avec les pêcheurs du golfe du Siam.
Son premier grand voyage est la traversée de l'océan Indien sur une jonque. Au cours de sa vie, ce « vagabond des mers » (titre de son premier livre) a parcouru aussi bien l'Atlantique que le Pacifique,
fait escale aux Antilles et en Polynésie, passé le cap
Horn…
Navires
Les Mémoires de « GUN »(1) Recueillies par Henry Wakelam
Je me souviens vaguement que je suis né en Allemagne en 1954, et qu’après un long voyage, je suis arrivé dans un magasin d’armes à Durban, Afrique du Sud.
Un jour, un homme qui s’appelait Bernard (2) me prit, me coinça dans un étau après avoir fait la même chose à d’autres fusils dans le magasin, et m’essaya pour tester ma précision. Je passai le test et après que l’armurier m’ait équipé du ressort le plus long que je pouvais porter, Bernard m’emporta.
Bernard m’utilisa chez lui, qui était un bateau, pour cracher du plomb sur les cormorans qu’il plumait, vidait et cuisait dans la marmite à pression avec abondance de curry en poudre « Atomic » acheté au marché indien.
Mais Bernard ne semblait pas très content quand les cormorans qu’il visait du haut de son mât s’envolaient simplement en laissant une dégoulinée de merde…
Après un certain temps il sembla m’oublier et il partit en mer avec son « chez lui » flottant jusqu’à Capetown.
Je me souviens vaguement l’avoir entendu parler, tout en mangeant du cormoran, à un homme qui, appris-je, s’appelait Henry (3), de billes métalliques que lui, Bernard, récupérait de roulements à billes qu’il démolissait à son travail.
« Ces billes », me dit-il « projetées d’un simple morceau de branche avec des bandes de chambre à air (4), remplissaient bien mieux son estomac avec du cormoran qu’avec mes morceaux de plomb.
Henry m’acheta de Bernard et me voilà crachant du plomb, mais même Henry trouva que c’était plus facile d’assommer un pingouin sur la cale de halage avec un aviron ou de l’accrocher en essayant de pêcher un maquereau qui était chassé par les pingouins. Ainsi les pingouins allaient dans le marmite à pression.
Je suis restée 50 ans avec Henry, crachant du plomb de temps en temps. Lui aussi m’oublia et mon bois fut cassé sous une pile de bordel dans un énorme bateau (5).
Là je fus trouvé par un jeune Antillais qui me vola pour cracher du plomb sur toutes sortes d’oiseaux, mais il fit une bêtise en soudant une mire de fantaisie au bout de mon canon, me faisant jeter du plomb de façon erratique. Henry me récupéra et coupa l’extrémité endommagée de mon canon.
A nouveau, je fus oublié jusqu’à ce que Noah, fils d’Henry et Yannick (6), maintenant en Nouvelle Zélande me retrouve derrière une maison qu’ils avaient construite.
Noah était petit, alors, pour aider à apprendre à lire, Henry écris « GUN » sur ma crosse.
Henry était triste que je sois négligé et en train de rouiller, alors, un jour, il demanda à un homme nommé Paul (7) s’il connaissait une maison de retraite pour moi. Celui-ci a trouvé un yacht français, le « Lève-Rames » et ses propriétaires, Gilles et Hélène (8), m’ont amené de Nouvelle Zélande en France avec eux ; voilà comment je suis arrivé ici !
Bernard nous a quitté et bientôt ce sera le tour de Henry et Paul, mais je reste ici pour aider à garder vivant les souvenirs.
Signé « GUN », le 28 juin 2007, en Nouvelle Zélande
(1) « Gun » est une carabine comprimé
(2) Bernard Moitessier
(3) Henry Wakelam
(4) Lance-pierre, fronde
(5) Que Henry avait renfloué et tachait de remettre en état.
(6) Epouse d’Henry
(7) Paul Farge, ancien équipier de J-Y Le Toumelin sur le Kurun jusqu’à Tahiti
(8) Gilles & Hélène Blaisot