Fiche du témoin

Jean Le Meur

Le 18 novembre 1959, le petit Jean Le Meur quitte Paimpol et embarque comme novice pont sur France 1. Il  a écrit sur ses campagnes à bord des textes  pleins de poésie, de sensibilité et de délicatesse. Il est, depuis 2003,  un fidèle des rendez-vous « Alors, Raconte » depuis 2003.

Navires

Version imprimable

Le cave se rebiffe.

Joachim, le Bosco, a sans aucun doute le souci des économies, enfin… des siennes, car il était bien moins soucieux de mon argent de poche que du sien, car plusieurs fois par jour il me taxe d'une cigarette  à chaque fois que je siffle ou que je chante. Tout cela était dit sur le ton d’une « ferme plaisanterie » comme pour banaliser cet insidieux chantage qui lui permet  de fumer à bon compte jusqu’à dix cigarettes tous les jours. Jusqu'au moment où je me suis rebellé, sans doute maladroitement, car cela m'a valu des sanctions déguisées. A partir de ce jour, je dois astiquer le laiton du hublot des cabines qu'il m'a  précédemment fait peindre. Point n'est besoin, tant les tempêtes dans ces points dépressionnaires  que sont Kilo – Juliette et Alpha sont nombreuses, de raconter les miennes. Rien ou presque ne saurait les distinguer des autres. Pourtant la série de dépressions de décembre 1959 ont été si extrêmes que deux nettoyeurs furent tellement malades qu'ils durent rester couchés pendant tout le mois du point, ne s'alimentant plus et ont dû quitter le bord en ambulance à notre retour à La Pallice. Il est seulement anecdotique de noter les comportements humains pendant les tempêtes alors que seules subsistent les tâches incontournables, réduites à leur fonction minimum : Piloter le navire bien entendu -- assurer le fonctionnement des machines et des cuisines – observer le ciel et opérer des relevés météorologiques, pour le reste, le rôle de chacun consiste à assumer au mieux sa propre protection et éviter les accidents. Ainsi l’arrimage de chaque objet devient une préoccupation de tous les instants et plus encore dans les virements de bord. Le travail à l'extérieur est en principe exclu sauf au point Alpha où il faut parfois casser la glace sur le pont supérieur afin de ne pas déstabiliser le navire et rendre libre les accès les plus importants. Après quelques voyages, une autre novice, mécanicien celui-là, embarque avec moi sur la France 1, et nous partageons la même cabine avec des lits superposés. C'est un garçon discret, un peu taciturne. Une semaine sur deux, chacun à notre tour nous alternons le service dans le poste des maîtres. Quelques collègues ont la mauvaise idée de lui faire des noeuds dans les lacets de ses chaussures, dans les jambes de ses pantalons et pull-overs. Les noeuds sont si serrés qu'il passe de longs moments à les défaire, et pourtant jamais il ne rechigne ni n'exprime sa colère. Cette mauvaise blague recommence plusieurs fois. Finalement, de guerre lasse, devant l'insuccès de ces railleries de mauvais goût, une trêve semble s'installer, les persécutions cessent sans que jamais mon collègue ne fasse la moindre observation.

Interrogé sur cette situation nouvelle, il exprime sa gratitude à ses interlocuteurs en leur précisant que depuis que ces vexations ont cessé, « Je ne pisse plus dans le café le matin ». Je vous laisse imaginer le désarroi de ses persécuteurs. A cet instant, les rires changent de camp, les vexations diverses cessent, puis le regard un peu méprisant des adultes s'en trouve modifié. Les mauvais souvenirs, je pense qu’à 16 ans, on ne s’en rend pas compte. Par exemple, les coups de tabac que l’on a pu avoir. Les autres les supportaient bien, alors on trouvait ça assez naturel. Ce n’est peut-être que plus tard que l’on mesure le danger qu’il peut y avoir.  Si je n’ai pas vraiment de mauvais souvenirs des frégates, c’est peut-être que le temps passant, on ne garde que les bons. Mais, je n’ai pas de nostalgie de cette époque. J’ai de bons souvenirs des frégates, j’ai de bons souvenirs des copains, de bons souvenirs des expériences en mer ou à terre.

Ville de la Rochelle Musée DRAC Poitou Charentes FAR Ami du musée