Fiche du témoin
Jean Le Meur
Le 18 novembre 1959, le petit Jean Le Meur quitte Paimpol et embarque comme novice pont sur France 1. Il a écrit sur ses campagnes à bord des textes pleins de poésie, de sensibilité et de délicatesse. Il est, depuis 2003, un fidèle des rendez-vous « Alors, Raconte » depuis 2003.
Navires
Quotidien en mer
À bord, je vis au jour le jour. Point n'est besoin d'anticiper, je suis novice, ma hiérarchie pense pour moi. J'exécute simplement ce que l'on me demande de faire. En complément de mes fonctions de «maîtresse de maison», je reçois quelques informations sur la navigation et en particulier sur la conduite du navire en mer dans cet espace infini ou une erreur de quelques degrés quand la mer belle, ne porte pas à conséquence. France 1 et France 2, par beau temps, lorsque la carène et dépouillée de leur barbe file environ à 13 noeuds. C'est dans ces conditions de temps idéal que je bénéficie de ma première leçon de barreur du N. M. S. France 1. Le répétiteur à l'arrière de la passerelle moucharde sans vergogne mon incompétence. Dans un premier temps, les coups de barres à droite succèdent au coup de barre à gauche, incapable que je suis de pressentir les mouvements du navire. D’aucuns s'imaginent que « barrer » exige une force physique réelle, alors qu'en réalité cela demande surtout réflexion et habileté. Après quelques revers sans gravité, qui me valent cependant quelques sarcasmes, j'acquiers le minimum requis pour gagner mes galons de barreur. C'est alors une fierté réelle, contenue certes, mais un véritable bonheur que l’on n’oublie jamais. Si les plaisirs et souvenirs personnels sont légion sur France 1 et France 2, quelques-uns cependant, plus accablants que les coups de barre intempestifs, viennent ternir mon premier mois à bord de France 1. Le soir, dans les années 59 et 60, nous jouons au poker ! Certes, nous ne jouons pas des sommes d'argent, tout au plus des cigarettes qui constituent les mises. Hélas aussi, nous buvons. Trop sans aucun doute…Cognac, Cointreau, Pernod, Marie Brizard, Pippermint, sont des boissons qui accompagnent trop fréquemment nos soirées de jeu, tant il est vrai que le prix auquel nous touchons ces marchandises est dérisoire. La bouteille de Pernod était à 0,52 F. À l'époque mon salaire mensuel comme novice, s’élève à 320 Francs. Je délègue systématiquement 250 Francs à la maison, mais comme je n’ai aucune dépense personnelle, l'achat d'alcool et de cigarettes n'obère pas véritablement mon budget. Un soir, un matelot, compagnon de jeu, fort agréable au demeurant, me propose dans l’intimité préméditée de sa cabine, des attouchements homosexuels qui me désorientent profondément. Il n'est point utile de rentrer dans les détails pour vous dire mon désarroi et ma peine. Courage ! Fuyons ! Je rentre prestement dans ma cabine et je pleure. Le lendemain matin je n'ose pas reprendre mon travail craignant de le rencontrer. C'est alors que le Bosco, s'inquiétant de mon absence vient jusqu'à ma cabine et comprend qu'il s'est passé « quelque chose ». Je rends un hommage appuyé au Second Capitaine Le Bars qui, dans la plus grande discrétion, sans le moindre éclat, avec beaucoup de délicatesse a réglé le problème.