Fiche du témoin

Lucien Joubert

Lucien Joubert vient d’une famille de paysans de l’Ile de Ré. Tout petit, il avait décidé : il serait marin ! Après des débuts à la pêche sur l’île de Ré et son service militaire, il embarque le 15 mai 1949 sur un chalutier à vapeur, l’Isole. Dans ses récits « Vie de marin, vie de chien » dont nous publions des extraits, il décrit avec réalisme et justesse  les conditions de travail à bord. Toujours passionné par la mer, il est un des spécialiste des écluses à poissons  et continue à faire des recherches et à écrire.

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L’équipement d’un vrai marin

Un récit de Lucien Joubert

Autrefois, les cirés étaient faits en toile de drap très épaisse que l’on enduisait d’huile de lin. Pour un ciré neuf, il fallait trois couches d’huile. Il fallait attendre au moins un mois pour que ça sèche entre chaque couche ! Rares étaient ceux qui fabriquaient leurs cirés. On les achetait tout prêt chez les commerçants. Ils étaient lourds, humides, raides, se cassant facilement aux pliures.

L’équipement d’un vrai marin se composait de la capote qui descendait à hauteur des genoux, des cuissardes et du pantalon ciré.

Par mauvais temps, certains bateaux comme les Guyenne et consorts chargeaient énormément. Leur lisse, très haute, arrivait à hauteur de la poitrine.  Quand la coursive se remplissait d’eau par un rouleau, les matelots étaient submergés. Il n’était pas rare de remplir ses cuissardes. Le pantalon ciré empêchait l’eau de pénétrer dans celles-ci. J’ai vu me changer trois fois dans la même journée et rester mouillé faute de vêtement secs par la suite. Certains chefs-mécaniciens acceptaient volontiers que les matelots fassent sécher leurs vêtements au-dessus de la machine. Avec la chaleur qui s’en dégageait, ils séchaient plus vite ; mais d’autres, ce qui était plus fréquent, interdisaient le linge au sec dans la machine ou à proximité. Je me souviens avoir installé une forme de séchoir à l’arrière de la cheminée sur un vapeur, à l’abri des paquets de mer. Sauf quand le bateau était vent arrière, il fallait veiller aux changements de caps, la chaleur qui se concentrait dans ce coin facilitait le séchage. Il n’était pas question de rincer ce linge à l’eau douce, elle était trop rare.

L’équipement  se terminait par le suroît, chapeau ciré d’une forme ovale, dont le côté le plus large protégeait la nuque pour empêcher l’eau de pénétrer dans le cou par le col. La plupart des marins se protégeaient l’encolure par un grand mouchoir noué autour du cou, ce qui ralentissait l’entrée d’eau. De temps en temps on retirait ce mouchoir, on le tordait bien et on le remettait. On avait l’illusion de se sentir plus au sec. Avec ces cirés, on peut dire que l’on était toujours humide. Il concentrait la sueur et comme le marin à cette époque couchait tout habillé, que ce soit la couchette ou les vêtements, tout était mouillé à tel point que parfois, au lever, nos vêtements « fumaient » tellement ils étaient humides.

Ces vêtements cirés ne devaient pas être très sains. Très souvent, les matelots souffraient de furonculose aux poignets, ou d’un genre d’eczéma. Les poignets étaient couverts de pustules purulentes qui couvraient  le dessus de la main jusqu’au milieu de l’avant-bras. Les antibiotiques en étaient aux balbutiements. A part quelques pommades adoucissantes, nous n’avions pas grand chose pour nous soigner, un chiffon ou parfois une bande pour  nous protéger du frottement du ciré. Il fallait arriver à terre pour que les bons soins des épouses, une bonne hygiène de vie remédie à tout ça. Mais, ça recommençait la marée suivante !

 Tout marin qui se respectait se devait d’avoir de deux cirés : un à bord et un autre à terre qu’il avait enduit d’huile de lin et qui séchait. Il fallait renouveler cette opération tous les six mois environ.

 En ce qui me concerne, mon père étant invalide, c’est lui qui s’occupait de mes cirés. J’en avais toujours un ou deux au sec chez lui, dans le chai. Pour rendre les cirés plus souples, il faisait chauffer l’huile de lin et y ajoutait à la valeur d’un bel œuf de suif qu’il laisser fondre et il enduisait les cirés de cette composition encore tiède. Il y ajoutait du siccatif pour hâter le séchage et rendre le ciré plus étanche.

 Les cirés plastifiés virent le jour aux environs de l’année 1954. La métamorphose fut immense. Plus souples et plus légers, ils amélioraient le confort du marin. Une capuche avec lacets lui enserrant le visage, le mouchoir autour du cou, le corps du marin était mieux protégé. La condensation était toujours présente, mais avec moins d’eau qui passait au travers, l’homme était plus au sec.  Vinrent Ensuite vinrent les cottes qui remplacèrent le tablier. Les bateaux également avait évolué et embarquaient beaucoup moins d’eau ce qui apportait, pour les marins, un meilleur confort et une plus grande sécurité.  La quantité d’eau douce embarquée à bord étaient plus grande, souvent, un réduit bien aéré servait à entreposer les cirés où ils séchaient mieux. Ce modernisme n’empêchait quand même pas le marin de souffrir d’un excédent d’humidité. Cela faisait partie de sa vie. Bien des années plus tard,  on verra s’installer des déshumidificateurs qui absorbaient l’humidité des postes d’équipage et des locaux à cirés mais, pour cela,  il faudra attendre les années 1980 et l’arrivée des pêches arrières.

Lucien Joubert, Avril 2010

 


 

 

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