Fiche du témoin
Lucien Joubert
Lucien Joubert vient d’une famille de paysans de l’Ile de Ré. Tout petit, il avait décidé : il serait marin ! Après des débuts à la pêche sur l’île de Ré et son service militaire, il embarque le 15 mai 1949 sur un chalutier à vapeur, l’Isole. Dans ses récits « Vie de marin, vie de chien » dont nous publions des extraits, il décrit avec réalisme et justesse les conditions de travail à bord. Toujours passionné par la mer, il est un des spécialiste des écluses à poissons et continue à faire des recherches et à écrire.
- A bord du Marie-Anne , un récit de Lucien Joubert
- A bord du Marie-Anne, prise insolite
- Des paquets de mer à bord du Gascogne
- Du treuil à main au treuil hydraulique, évolution de l’aide mécanique aux manœuvres
- Guyenne, du 3 juillet au 13 août 1952, un récit de Lucien Joubert
- Histoire d’un accident en mer et de ses conséquences
- Je ne savais pas faire cuire un œuf
- La sécurité sur le pont
- La vie d’un mousse à bord d’un vapeur après guerre
- Le Port et les quartiers maritimes de La Rochelle, de l’après-guerre au transfert du port de pêche (1994)
- L’équipement d’un vrai marin
- L’Isole : du 15 mai au 12 Août 1949
- Mes embarquements sur le Ca m’ Plait, un récit de Lucien Joubert
- Mon embarquement sur le Charles-Letzer
- Mon embarquement sur le Daniel Hélène, un récit de Lucien Joubert
- Mon embarquement sur le Marie-Yette en Septembre 1950
- Mon premier embarquement comme cuisinier
- Trop saoul pour barrer debout, un récit de Lucien Joubert
- Une marée à bord d’un bateau de misère, du 11 au 21 août 1950 : Un récit de Lucien Joubert
Mon embarquement sur le Charles-Letzer
Un récit de Lucien Joubert
9 avril 1952/ 22 Juin 1952
Sur le Charles-Letzer, j’ai retrouvé le patron qui commandait le Guyenne. J’avais embarqué sur le Guyenne comme cuisinier…inexpérimenté ! Il faut croire qu’il ne m’en avait pas trop voulu de ces repas de diète que j’avais pu leur servir à l’époque ! Le second, Paul Rivière était aussi sur le Guyenne avec ses deux fils. J’étais le plus jeune matelot du bord : je n’avais pas vingt-cinq ans, la pêche allait bien, l’ambiance était bonne. Ce chalutier d’avant-guerre était très bon à la mer. Il avait une coque en acier, un moteur belge de 300 CV dont j’ai oublié la marque. Les soupapes à chapelle faisaient 80 kgs chacune, les culasses, 400 kgs, l’embrayage était à la main et à balancier. Il y avait un étage pour être à la hauteur des culasses afin de graisser les culbuteurs… C’était de la bonne mécanique tournant à 300 t/m, faite pour durer. Nous y avons gagné correctement notre vie.
J’ai souvenir d’une aventure à bord de ce navire : le cuisinier, Jean le Basque, je ne suis jamais son vrai nom, se plaignait depuis plusieurs jours d’une immense fatigue. Il avait de grandes difficultés à assurer les repas et était très vite fatigué. N’ayant aucune connaissance médicale, le second le soignait avec des cachets d’aspirine, sans grands effets …Une fois, par erreur, il lui a donné des cachets de chlore… Heureusement qu’il n’a pas avalé d’un trait cette mixture ! On peut en rire, mais, à bord, à l’époque, aucune notion de soins n’était donnée aux futurs patrons. Le patron a proposé de le rapatrier, mais le cuisinier a refusé. Malgré tout, inquiet, le patron a décidé d’abréger la marée de quelques heures et a fait route sur La Rochelle. Le cuisinier était de plus en plus mal, il ne pouvait plus se lever, mais ne souffrait pas… Les liaisons radio pour une consultation médicale n’existaient pas encore. En passant Ouessant, le patron décide de déposer cet homme à l’hôpital de Brest…C’était grand temps : il souffrait d’une péritonite aigue ! Le chirurgien qui l’avait opéré en urgence l’avait recousu comme si Jean ne devait pas en sortir vivant. C’était sans compter sur la terrible envie de vivre de cette homme : il s’en tira, et, revenu à la vie, il continua jusqu’à sa retraite ce métier de marin !