Fiche du témoin

Lucien Joubert

Lucien Joubert vient d’une famille de paysans de l’Ile de Ré. Tout petit, il avait décidé : il serait marin ! Après des débuts à la pêche sur l’île de Ré et son service militaire, il embarque le 15 mai 1949 sur un chalutier à vapeur, l’Isole. Dans ses récits « Vie de marin, vie de chien » dont nous publions des extraits, il décrit avec réalisme et justesse  les conditions de travail à bord. Toujours passionné par la mer, il est un des spécialiste des écluses à poissons  et continue à faire des recherches et à écrire.

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Mon embarquement sur le Charles-Letzer

Un récit de Lucien Joubert

9 avril 1952/ 22 Juin 1952

 Sur le Charles-Letzer, j’ai retrouvé le patron qui commandait le Guyenne. J’avais embarqué sur le Guyenne comme cuisinier…inexpérimenté ! Il faut croire qu’il ne m’en avait pas trop voulu de ces repas de diète que j’avais pu leur servir à l’époque ! Le second, Paul Rivière était aussi sur le Guyenne avec ses deux fils. J’étais le plus jeune matelot du bord : je n’avais pas vingt-cinq ans, la pêche allait bien, l’ambiance était bonne. Ce chalutier d’avant-guerre était très bon à la mer. Il avait une coque en acier, un moteur belge de 300 CV dont j’ai oublié la marque. Les soupapes à chapelle faisaient 80 kgs chacune, les culasses, 400 kgs, l’embrayage était à la main et à balancier. Il y avait un étage pour être à la hauteur des culasses afin de graisser les culbuteurs… C’était de la bonne mécanique tournant à 300 t/m, faite pour durer. Nous y avons gagné correctement notre vie.

J’ai souvenir d’une aventure à bord de ce navire : le cuisinier, Jean le Basque, je ne suis jamais son vrai nom, se plaignait depuis plusieurs jours d’une immense fatigue. Il avait de grandes difficultés à assurer les repas et  était très vite fatigué. N’ayant aucune connaissance médicale, le second le soignait avec des cachets d’aspirine, sans grands effets …Une fois, par erreur, il lui a donné des cachets de chlore… Heureusement qu’il n’a pas avalé d’un trait cette mixture ! On peut en rire, mais, à bord, à l’époque, aucune notion de soins n’était donnée aux futurs patrons. Le patron a proposé de le rapatrier, mais le cuisinier a refusé. Malgré tout, inquiet, le patron a décidé d’abréger la marée de quelques heures et a fait route sur La Rochelle. Le cuisinier était de plus en plus mal, il ne pouvait plus se lever, mais ne souffrait pas… Les liaisons radio pour une consultation médicale n’existaient pas encore. En passant Ouessant, le patron décide de déposer cet homme à l’hôpital de Brest…C’était grand temps : il souffrait d’une péritonite aigue ! Le chirurgien qui l’avait opéré en urgence l’avait recousu comme si Jean ne devait pas en sortir vivant. C’était sans compter sur la terrible envie de vivre de cette homme : il s’en tira, et, revenu à la vie, il continua jusqu’à sa retraite ce métier de marin !

 

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