Fiche du témoin
Michèle Gregorieff
Michèle a connu son mari lorsqu’il était encore étudiant à La Rochelle. Il avait fait plusieurs fois le tour du monde et cela la faisait rêver. Son père n’est pas marin. Il travaille au charbonnage et elle n’est pas prédestinée à cette vie-là. Car, comme le dit Michèle «Etre femme de marin, c’est toute une vie ! »
Femme de marin, toute une vie
Un récit de Michèle Gregorieff
Ce que je voulais dire c’est que l’on parle beaucoup du marin, mais on ne parle pas de la femme du marin elle-même.
Mon mari avait fait déjà deux fois le tour du monde, alors il m’a fait un peu rêver, c’est vrai ! Il avait sept ans de plus, et quand il a finit ses études et qu’il avait navigué un peu, il m’a dit : «Je vais faire des études beaucoup plus hautes. » Alors il a fait les études d’officier mécanicien à Nantes. Mais le problème qui s’est posé à Nantes, c’est que je suis partie mais je ne connaissais personne ! J’ai trouvé un petit meublé et puis mon mari revenait de temps en temps, mais là bas je n’étais pas bien, je me sentais pas bien, parce que je ne connaissais personne et puis comme vous êtes jeune... J’ai eu mon bébé à 19 ans, vous voyez, j’allais avoir 20 ans. Donc j’avais mon bébé à ce moment-là ! Mais je veux dire que j’avais l’impression quand il repartait, d’être veuve.
J’ai accouché dans une école de sages-femmes parce qu’on ne payait pas, alors fallait souffrir pour qu’il voit le travail, c’était un petit peu inhumain autrefois. Quand j’ai accouché, à Nantes, on était dans une chambre commune, elles avaient déjà toute leur bébé, moi je n’en avais pas, j’avais juste mon gros ventre.
Quand mon mari faisait l’Algérie, on était jeune marié, il était pinardier, il faisait venir le vin d’Algérie, qu’on coupait avec le vin de Bordeaux, donc il allait à Bordeaux, à Lorient…
A bord, il y avait plusieurs catégories de gens ; vous aviez les matelots, les petits, les mécaniciens, et après vous aviez les troisièmes. Y avait trois échelons à ce moment-là. Et alors nous les femmes de mécaniciens, on avait le droit de naviguer en France. Mais pas les femmes de matelots. Le commandant, lui, voulait bien qu’il y ait des femmes de matelots, alors il les cachait quand on arrivait dans un port, dans les chambres froides qui ne fonctionnaient pas. Mais un jour il y a quelqu’un qui en a fait fonctionner une. Et bien heureusement qu’on est arrivé dans ces chambres froides, parce qu’elles étaient déjà toute frigorifiées ! C’est un souvenir qui m’est resté çà ! Y a des anecdotes comme ça qui sont très dures.
Ce que je voulais vous dire qui était primordial c’était surtout que l’argent n’était pas tout, vous voyez ! Moi je gagnais beaucoup d’argent mais il ne me servait à rien en fin de compte.
Mais quand je lui ai demandé d’arrêter, il n’a pas hésité non plus. On gagnait beaucoup moins mais c’était une gestion, on ne pouvait pas dépenser plus qu’on gagne !
C’était ça, être femme de marin ! C’est toute une vie !
Quand mon fils est là, il me dit : « Mais maman t’es jamais heureuse ! » Je lui dis : « Mais si, je suis heureuse ! » Mais quand mon mari a fait une dépression où je l’ai porté pendant deux ans récemment, je me dis « faire tous ces sacrifices là pour les voir malheureux maintenant, je me demande ce qu’est la fin de vie d’une femme de marin » ?
La vie d’une femme de marin c’est qu’elle garde tout et quand on voit tous ces marins qui étaient heureux de vivre, je me demande combien de femmes de marin ont vécu çà. Elles souffrent en fin de compte ! Mais on ne parle pas d’elles, vous voyez !