Fiche du témoin

Vincent Gouraud
Vincent Gouraud a embarqué comme novice sur le Pactole le 22 juillet 1964. Il quittera le métier de marin-pêcheur après le traumatisme d’un accident vêcu à bord de l’Angoumois en 1976. Devenu commis-mareyeur, il évoque son travail case 18, un métier difficile auprès d’un patron qu’il estimait. S’il quitte La Rochelle pour l’est de la France, il n’oublie pas cette période de sa vie à bord et sur les quais de l’Encan.
Queues de boules et quart à la passerelle : les punitions du mousse
On nous avait prévenus à l’école. On nous disait : « vous avez choisi ce métier, il n’est pas facile mais c’est un beau métier. » Quand on était mousse, souvent, on ne savait même pas où l’on allait. C’est à peine si on avait le droit de monter à la passerelle…autrement que pour des punitions…Les punitions, c’était 2, 3 heures de quart à la passerelle. C’était dur à cette époque ! Quand il y avait un chalut de déchiré, le boulot du mousse, c’était de remplir les aiguilles et de fournir à tout le monde des aiguilles. Il y avait 8 hommes qui ramendaient sur le pont et le mousse était tout seul pour remplir les aiguilles. C’était impossible de fournir ! Quand on avait du retard…allez, c’était la punition : deux heures de quart ! Après la journée, il fallait monter avec un matelot pour faire ses deux heures de quart à la passerelle …de nuit. C’était comme ça. La vie était dure, mais je ne regrette pas ces années. Quand je suis passé matelot, je n’ai pas fait endurer au mousse ce que j’avais vécu. Quand le mousse prenait du retard, je lui remplissais les aiguilles. A bord du Stire, c’était très dur mais cela ne m’a pas découragé ! J’ai connu quelques mousses qui ont été dégoutés. Ils ont abandonné la pêche et ils sont partis à l’usine à Talbot, à Périgny. Dans l’ensemble, on tenait le coup. Le Stire, c’était un vieux bateau à inversion. Pour passer en marche arrière, il fallait l’arrêter et remettre en route. C’était un bateau bien typique de ces premiers bateaux à gas-oil après la vapeur. Le poste d’équipage était à l’avant et le poste des officiers était à l’arrière. Et l’équipage était surtout composé de Greks, des gens très, très, très durs. Il y avait le vieux Zef qui chiquait : de sa couchette, il envoyait des crachats dans le poste. Les autres qui étaient sur le bord de leur couchette, ils se passaient une boite de conserve…qui débordait. C’était au mousse de nettoyer le carré. On nettoyait avec de la roussette. La peau de la roussette, c’est rugueux, ça fait comme une toile émeri. Alors, le mousse, il prenait la roussette et il fallait qu’il frotte jusqu’à ce que le bois soit blanc ! Et bien sûr, on n’avait pas de gants ! Outrage, si on avait mis des gants. Ah non… surtout pas des gants ! Un mousse qui aurait mis des gants, c’était un moins que rien, c’était un petit pédé….. Je me souviens, il fallait aller chercher les plats qui étaient à la cuisine. On allait chercher les plats à la cuisine à l’arrière et il fallait les ramener à l’avant. C’est qu’il fallait les servir ces bourgeois ! Il fallait que tout leur vienne : l’équipage était maître. A mi-marée, le pont devenait très glissant. Des fois, je me cassais la gueule avec les plats…Alors, je remettais tout dedans en souhaitant qu’ils ne me voient pas ! Quand c’était des saucisses, ça allait, mais quand c’était des poulets en sauce, des trucs comme ça… Leur punition, c’était : « va faire cinquante queues de boule ». Les queues de boule, c’est fait avec un bout gros comme mon petit doigt. Il fallait faire des épissures pour mettre la boule qui servait à tenir le chalut ouvert. On en usait beaucoup. C’était la punition ! Autre corvée : tous les jours, il fallait pomper l’eau douce qui était en cale. Et si l’eau manquait…C’était la faute au mousse : « T’as pas pompé l’eau hier ? Tu feras des boules» ! Il y avait aussi des bizutages ! C’était rare qu’un mousse ou un novice y échappe ! On nous passait la quéquette à la moutarde …Un jour, il y en avait un qui venait juste de passer matelot, alors, il voulait à son tour jouer au dur. Il m’a dit : «On va te passer la quéquette à la moutarde ». Je lui ai répondu : « Va-z-y, j’y suis déjà passé, je sais ce que c’est… » Alors, là, ça les a calmés…Car le but du jeu, c’était que le mousse se défende et se tortille dans tous les sens ! On passait novice à 16 ans. On restait novice 7 à 8 mois en moyenne. En tant que novice, vous aviez droit à une demi-part. Le bénéfice du bateau était partagé en parts, matelot, vous aviez droit à votre part, second à une part et quart ou une part et demi, ça dépendait des bateaux. On apprenait à faire le quart en double avec un matelot.