Fiche du témoin
Gabriel Garcia
Gabriel et Josiane Garcia ont succédé au père de Gabriel à la tête de la Guignette dont les activités étaient cave à vin, bar et avitaillement de navires. Ils travaillaient avec le frère de Gabriel, Lucien et sa femme.
Lieux
Avitailleurs de navires, un récit de Yves Gaubert
Nous étions avitailleurs de navires, shipchandlers. Nous avons pris la succession de nos parents. Nous étions quatre frères. Le deuxième travaillait déjà dans l’affaire. Moi, je ne voulais pas faire ce métier-là. J’étais apprenti menuisier. Quand mon frère est parti au service militaire, je l’ai remplacé et je suis resté. On embauchait tous les matins à 6 h. On allait sur les bateaux, le bâtiment de la chambre de commerce faisait 330 mètre de long. On faisait ça 10 fois tous les matins avec des casiers, avec des bouteilles vides dedans qu’on ramassait sur les bateaux pour laver les bouteilles et les remplir après dans la journée. On ne faisait que les boissons, les alcools et les cigarettes et du beurre à l’exportation.
Au départ, il n’y avait pas de bar, c’était sur des barriques avec des tabourets et même avant les gens s’asseyaient sur les casiers. Ils venaient boire du rouge, du blanc, du rosé mais pas d’alcool. En 69, mes parents ont acheté la licence 4 et ils ont eu le droit de servir de l’alcool.
On avitaillait les bateaux de pêche, mais quand la pêche a commencé à décliner, on s’est lancé dans les deux bateaux météo, France I et France II. C’était du bon travail, tous les mois, à peu près, 2 000 bouteilles pour chaque bateau, vins, bières, jus de fruit, etc. Ce qui était très avantageux, c’est qu’il n’y avait pas d’impayés.
On livrait à bord, tout l’équipage nous attendait, nous donnait un coup de main. En une demi-heure, les 2 000 bouteilles étaient rendues à bord et on passait voir l’intendant qui nous payait tout de suite.
On a vendu la Guignette en 94 et on a arrêté l’activité sur le quai en 1990. C’était des journées assez longues, de 6 h le matin, vers 9 h, 9 h 30 le soir. Ça faisait 420 h de travail par mois.
Je livrais aussi les particuliers, souvent des gens qui n’avaient pas d’ascenseur. Mon sport c’était les livraisons. Il y avait 180 bateaux à La Rochelle, 60 gros et 120 petits. Les petits, ils étaient 4 à 5 par bateau et les gros, 12 à bord.
Nous étions quatre à fournir les bateaux, la maison Rateau, Gautier (livrait les bateaux de pêche de l’île d’Yeu), Néreau, mais chacun avait sa clientèle. On travaillait aussi avec les Sables d’Olonne et Lorient. Les gars de Lorient, il rentrait le soir dans le bassin des chalutiers, ils déglaçaient eux-mêmes le poisson et ils repartaient en mer, l’après-midi ou le soir pour faire encore 15 jours de mer. Quelquefois, les Rochelais nous réveillaient la nuit pour récupérer leur matelas, leurs bottes et leur équipement qu’ils m’avaient demandé de mettre dans mon garage. Mais dans l’ensemble, ça se passait bien.
Je commençais à 6 h, j’allais manger à 13 h, je repartais vers 14 h. Les livraisons se terminaient vers 18 h, 19 h, mais après je me pointais derrière le bar de la cave et c’était reparti. Il me fallait trois façades, une avec les clients que je livrais, et derrière le bar, il faut avoir une autre tête et puis j’avais les comptes à faire.
Il y avait beaucoup de jeunes qui venaient boire, des ouvriers, des étudiants, des marins, les grands pères qui venaient jouer aux cartes. Il y avait une bonne ambiance. On avait des avocats, des notaires, des policiers et la clientèle du marché aux puces, le samedi matin.
On n’a jamais eu de problèmes avec des gens qui buvaient trop, on fermait tôt. Ma mère est resté jusqu’à 80 ans et elle savait leur parler. Elle se gênait pas à faire des réflexions aux clients. Elle a arrêté à son grand malheur. C’était sa vie. Dans toute sa vie, elle a pris 15 jours de vacances. Elle est décédée à 96 ans.
Les marins n’étaient pas des ivrognes en mer. Le marin fait quatre casse-croûte sur 24 h. Ils buvaient deux litres de vin par jour. Il leur arrivait de travailler 20 h sur 24. J’ai mon troisième frère qui est allé faire une marée sur l’Angoumois. Je fais une maquette de l’Angoumois que je lui offrirais quand elle sera finie. Tous les bateaux de La Rochelle, je les ai en tête. On livrait des fois des bateaux en quatrième ou en cinquième position. On a commencé avec des casiers en bois de 10 trous et on mettait la part de chacun dans des caissons dans le réfectoire. Chaque marin payait sa part. Certains ne prenaient qu’un carton d’eau, d’autres ne buvaient que de la bière, d’autres du rouge, du rosé un peu. J’avais tout dans la tête. Le matin a 6 h, je ramassais les bouteilles vides et je prenais les commandes de tout l’équipage. Je livrais l’après-midi. Un mille de bouteilles vides à ramasser. Avant d’embarquer, il fallait faire des papiers de douane. C’était des marchandises dédouanées pour l’exportation. On passait au poste de douane à côté du sémaphore derrière la tour Saint-Nicolas. Ils étaient 25 douaniers.
En 1970, les bateaux commençaient à diminuer, c’est là qu’on s’est converti dans les deux France, les bars, les restaurants.
Je ne sais pas en quelle année, on ne livrait que du vin d’Algérie sur les bateaux, du 14° en vin rouge. On livrait 20 000 litres de vin rouge par mois entre les avitailleurs.
Les bateaux commençaient à déglacer leur poisson à 2 h du matin et le dernier, des fois, il était midi.
Dans le temps, il y avait du poisson qui ne se vendait pas à la chambre de commerce parce qu’il était un peu blessé. Les petites sœurs des pauvres venaient en vélo et on leur donnait ce poisson. Quelques années après, les armateurs ont dit : « Terminé, plus de cadeaux. » Ils mettaient du bleu de méthylène dessus.
Mon père, en 33, il a commencé à faire des livraisons de particuliers avec la charrette. Il mettait 150 litres en casiers. Il partait de la rue Saint Nicolas et il allait jusqu’à la Sole (Les Minimes) à pied. Il livrait une dizaine de clients et sa journée était gagnée. On avait un chien qui tirait la charrette.
C’était un plateau, on pouvait mettre dessus des barriques. Les rues de La Rochelle, c’était que des pavés. Ensuite les rues ont été dépavées puis repavées. Les nouveaux pavés rue Saint-Nicolas nous ont posé des problèmes. Ils étaient sur du sable et le long de la façade, il y a eu des infiltrations d’eau. Ça nous a pourri tous les planchers. Les camions venaient nous livrer et j’ai dit à la ville de La Rochelle : « Les camions vont enfoncer les pavés. » Ensuite, ils ont retiré les pavés et ont fait une semelle de béton avec des petits pavés de 10 sur 10.
On avait un fournisseur de vin du côté de Valette dans la région nantaise. Il nous livrait en caisses de plastique. Le camion arrivait à 6 h, à 7 h tout était débarqué. Il livrait du 12° en rouge, du rosé et tout ce qu’il y avait en bouteilles. C’était mon frère qui s’occupait des commandes de vins bouché. De temps en temps, il allait se renseigner chez un autre marchand de vin quai Louis Durand, Girardin.
Moi, je m’occupais des papiers de la cave et des livraisons.
Mon père, en 33, avant de créer la Guignette, il avait monté un bar hôtel restaurant à La Pallice, à côté de la poste. Mon père est arrivé en France en 1918. Il parlait français comme une vache espagnole. Il avait comme employé des frères de ma mère. Mes parents n’étaient pas encore mariés. Après il a monté une petite affaire rue Saint-Nicolas pendant un an, au numéro 29 (la cave est au 8). Moi, je suis né là-bas, à La Pallice. Au bout d’un certain temps, il a trouvé la cave de la Guignette qu’il a rénové. La Guignette, il paraît que c’est un genre de petit bigorneau. C’est mon père qui a donné le nom, la Guignette. Il a voulu faire un style espagnol. Ils ont mis des demi-barriques. Le bar était peint en vert et rouge basque. On disait des fois, « Tiens le vert de vin rouge ! »
Quand on a commencé à livrer les bateaux de pêche, c’était à la tour de la Chaîne, des thoniers. Ils venaient chercher avec des bonbonnes de verre sur des charrettes. On remplissait ça. On leur payait un petit verre chacun, ils étaient contents. Et ils retournaient à bord avec la charrette.
J’ai livré une fois un cargo, c’était un équipage de couleur. On s’est ramené avec la marchandise. La grue est venue, ils ont mis les filets sur le quai, on a mis tous les cartons. On faisait ça trois fois l’an. L’équipage prenait les cartons d’eau, ils les balançaient éventrés. Je dis à un gars : « Mais pourquoi vous travaillez comme ça ? » « Nous, on travaille pour le salaire qu’on a. » Ils n’étaient presque pas payés et ils s’en foutaient totalement. On était écœurés.
Mais c’est la famille Rateau qui faisait l’avitaillement à La Pallice. Madame Rateau allait faire les livraisons.
Quand on a vendu la cave, le jeune homme qui a repris a fait une petite fête et Michel Crépeau est venu. Il avait décerné une médaille pour la Guignette. Il passait nous voir et il disait : « Oh ! Ici, c’est une institution. » Mon frère qui travaillait avec moi, c’était Lucien. L’enseigne, c’était G. et L. Garcia. Quand mon père est décédé, c’était ma mère qui avait gardé la cave et nous avons pris le commerce sur le quai. Josiane et sa belle-sœur travaillait à la cave, Josiane l’après-midi et la belle-sœur le matin.
On était en société de fait, SDF, sur les courriers !