Fiche du témoin
Gabriel Barrieux
Gabriel Barrieux a travaillé aux chantiers navals des ACRP en tant qu’électricien. A la suite d’une grave intoxication au trichloréthylène et à l’amiante, il quitte les ACRP pour le charbonnage. « Je m’en suis bien tiré, parce que j’étais pupille de la nation. J’ai été soigné dans une maison des anciens combattants des Hautes Pyrénées », dit-il, restant modeste sur son courage. Il garde une profonde sympathie pour son patron, Michel Roulet, petit-fils du père Vieljeux. Gabriel Barrieux n’est pas seulement le fils de Mitraillette même s’il en a conservé la gouaille.
Gabriel Barrieux et ses cousines, par Yves Gaubert
Gabriel Barrieux est le fils de Mitraillette, Arlette Kerzerho et Charlette Dagusé, née Jego sont ses cousines. Leurs trois grands-mères étaient sœurs.
Gabriel Barrieux
« Je suis né le 19 juillet 1933 à 7 h du matin, 4 rue des Canards comme ma grand’mère, le seul porche où il y a les armes de Henri IV. Le bar des Canards était en retrait, la maison de ma grand’mère était à côté. Quand les marins bretons allaient manger chez la mère Canne, à chaque coup, ils allaient pisser dans le coin. Ma grand’mère montait sur la terrasse et elle attendait que le deuxième sorte et là une baille d’eau sur la gueule.
Quand ma grand’mère est morte, c’est Michel Crépeau qui a acheté la maison pour son fils. Je suis passé dans la rue, j’ai vu Crépeau à la fenêtre et je lui ai dit : « vous savez qu’un grand homme est né là ? Sa mère, c’est Mitraillette et le gars, c’est moi. »
Mon grand-père allait chez la mère Garcia, chacun leur tour payer leur verre. Dans ce quartier, il y avait un peu de tout, des gars qui travaillaient au chantier naval, des maçons et beaucoup de marins et des gens qui travaillaient sur le port.
J’ai travaillé au chantier naval, aux ACRP, j’étais électricien. Au chantier naval, il y avait la menuiserie, la mécanique et l’outillage, le service électrique et l’administratif. De l’autre côté, il y avait le magasin général, la chaudronnerie et les soudeurs. C’était cloisonné. On connaissait les tourneurs pour nos mèches et des trucs comme ça, les ajusteurs de bord (des mécaniciens).
J’ai eu un très grave accident au chantier, intoxication au trichloréthylène et à l’amiante. Je m’en suis bien tiré, parce que j’étais pupille de la nation. J’ai été soigné dans une maison des anciens combattants des Hautes Pyrénées. J’avais deux cavités au poumon gauche, j’y suis resté 23 mois. Quand je suis rentré, ma mère vendait du poisson. Elle arrêtait sa 2 chevaux devant le portail de la préfecture. Le planton lui disait : « Circulez ! » « Attends, attends, je vais porter du poisson à la préfète. »
J’ai travaillé au charbonnage, chez Vieljeux, « l’aggloméré qui chauffe le mieux » à la Ville en Bois. Mon patron, c’était le petit fils du père Vieljeux, Michel Roulet ( ?). Il y avait une fonderie, une forge et une école d’apprentissage qui faisait partie du groupe Vieljeux et Fumoleau (chantier naval) qui s’est installé.
Les hommes de la Ville en Bois travaillaient sur le quai, charbonnage Delmas Vieljeux, les treuils, la chaudronnerie, la mécanique, chez Morch, Castaing, au déglaçage, un peu partout où il y avait du boulot.
Je vais aller voir le maire pour lui demander de faire une place en souvenir des gens de la Ville en Bois. Ces gens ont apporté toute la main d’œuvre du quai et toutes les femmes travaillaient. Ma grand’mère a commencé à 12 ans.
Ensuite, je suis parti vendre des pneus. Après je suis allé chez Laurent Barreau où j’ai vendu du matériel de travaux publics pendant près de 28 ans. Ma femme, Janine, était secrétaire de direction. C’était l’époque où on gagnait beaucoup d’argent. La gouaille, je l’ai hérité un peu de maman. Les entrepreneurs, je les remuais un peu, et après c’est eux qui me remuaient. »
La tragique histoire de son père
« Mon défunt père avait travaillé au chantier naval. Aux grèves de 1936, le délégué dit à mon père de porter le drapeau devant pendant la manif. A la fin de la grève, les meneurs dont le porte drapeau, liquidés. Il part à la Charentaise, ça se sait vite, liquidé. Il a passé son brevet de mécanicien et il est allé à la pêche.
Arrive 1941, il est divorcé d’avec Mitraillette. Il va un soir avec une copine rue Sardinerie, dans un bar tenu par le père Raymond et ils boivent. Un officier allemand vient, ils boivent. Ils s’en vont ensemble. A l’écluse Eléonore d’Aquitaine, celle qui fait chasse, ils ont foutu l’Allemand dans le trou et il s’est noyé.
Mon père partait le lendemain accompagner un bateau, le PJP, sur Bordeaux. Le lendemain, le jeune Allemand, 35 ans, est tiré de là. Quand je suis sorti de l’école, avec mon copain Rambeau, j’ai vu le corps sous un drap blanc et quand les Allemands ont soulevé le drap, j’ai vu un crabe qui sortait de sa botte.
Quelques jours après, ma grand’mère, mon grand-père et le vieux tonton breton, Pierre Laventure, tout le monde s’en va pour un interrogatoire à la Kommandantur. Le Laventure, il parle moitié français, moitié breton, on le fout à la porte. Ma grand’mère est libéré. Mon grand-père avait été mobilisé en 16, on le garde jusqu’à minuit. Puis c’est fini, on en n’entend plus parler.
Mais quelques jours plus tard, la femme qui vivait avec mon père se fait interroger à la Kommandantur de La Rochelle. On la transfère en voiture à Poitiers. Elle a sauté pour empoigner le volant. Ils se sont empalés sur un arbre et elle a été tuée sur le coup.
Mon père continue la résistance à Bordeaux. Un sabotage de wagon de chemin de fer finit mal. Une patrouille allemande chope le garçon de 18 ans qui était avec lui et le lendemain le fusille.
On le retrouve à l’attentat de la poudrière de Toulouse où il se fait blesser au visage. Des copains l’emmènent en voiture à Cagères ( ?). C’était l’endroit où on soignait tous les blessés de la résistance.
Le 6 juin 44 on demande à toutes les unités combattantes de rejoindre les maquis. Le 6 juillet 44, dans le Gers, un garçon qui était avec eux se fait arrêter à Lannemezan, se met à table et à 5 h du matin 1 500 Allemands les entourent (ils étaient dans deux fermes distinctes). Les Allemands tirent des obus de mortiers sur les fermes, les munitions explosent. Mon père est avec son acolyte, Esperanza, qui lui dit « Bibi vient, on se barre, on est foutu. » Mon père répond : « je ne peux pas laisser les trois copains tous seuls. » Mon père s’est rendu, on l’a fait monter au cantonnement. Ils les ont rafalés pour pas les tuer. Ils ont entassé un bûcher de paille au-dessus d’eux et ils ont mis le feu. On les a entendus hurler à des kilomètres. Quatre hommes à se faire brûler. On les a retrouvés calcinés complètement. J’ai sa montre et son briquet. »
Arlette Kerzerho
Arlette Kerzerho est née à la Ville en Bois. Sa mère, née, elle aussi, à la Ville en Bois, faisait les huîtres sur la côte.
« Ma mère a commencé à 9 ans et a fait ce métier jusqu’à 67 ans. On était déclaré libéral, on n’avait pas de sécurité sociale, rien. On a eu la chance d’avoir la santé. Ma mère est tombée veuve jeune. On a vécu que de ça. A la Ville en Bois, les trois quarts des femmes faisaient les huîtres. Quand c’était l’époque de la sardine, elle travaillait à l’usine Saupiquet. La maman de Charlette aussi y allait. Elles travaillaient jusqu’à minuit, une heure. Les bateaux rentraient tard. Les marins passaient dans les maisons, « Allez à la sardine ! ».
Morch était norvégien et il importait du bois, il avait une scierie et c’était mon propriétaire. Il nous a vendu la maison (une maison en brique). Quand ils ont voulu abattre les maisons de la Ville en Bois, j’avais un acte de propriété. Et à la mairie, ils ne voulaient pas le croire. A cette époque, Morch était maire de La Rochelle. Il s’était désisté en notre faveur. Il a voulu nous protéger parce que mon père travaillait chez lui. Il est mort à 32 ans. Tous les mois j’allais chez Morch payer le loyer.
Ma mère a été relogée à Tasdon. En contrepartie, elle était logée gratuitement. Elle avait 84 ans, elle a vécu jusqu’à 104 ans. Quand ma mère est entrée en maison de retraite, la ville a continué à verser un peu pour la maison de retraite.
J’ai travaillé dans un bureau comme sténodactylo jusqu’à ce que je me marie et j’ai quitté pour aller aux huîtres avec ma mère. On avait des parcs aux Minimes, à Angoulins. On faisait tout, Châtelaillon, Fouras. On faisait les banches. On décollait les huîtres sauvages. On les lavait, on les triait, on les mettait en sacs.
Une femme, elle était à la marée, elle a accouché dans la nuit et le lendemain elle est retournée à la marée. J’ai une belle sœur qui a voulu faire les huîtres, elle n’a jamais pu monter ses sacs. On les montait à l’escalier Gaillard. Il faut savoir équilibrer le sac. Je ne pouvais pas porter les sacs à tout le monde. »
Arlette a épousé un patron de pêche de La Rochelle, Désiré Kerzerho. Elle raconte un épisode dramatique : « Le Du Chaffault, le dernier bateau de mon mari, a fait un sauvetage d’un cargo panaméen perdu dans la tempête, le 28 novembre 65. Ils ont sauvé 23 hommes. Le chef mécanicien a filmé. A la fin, ils sont allés chercher le capitaine. L’armateur du Du Chaffault était M. Laurent.
Mon mari faisait des marées de 18 à 20 jours. Ce n’est pas de la rigolade d’aller à Bishop et tout. En pêche, Ils viraient toutes les deux heures. »
En 70-71, son mari est entré à la DDE pour devenir le patron de l’Estrée, le bateau du balisage de La Rochelle. Il est allé chercher ce bateau neuf à Marseille et en est resté capitaine jusqu’à sa retraite en 84.
« L’ostréiculture a stoppé quand ils ont fait la plage à La Rochelle et le port des Minimes. Mon mari a fait les sondages du port des Minimes et ils ont fait passer l’eau dans l’île de Ré. Sur la plage des Minimes on avait deux grands parcs qu’ils nous ont enlevés sans les remplacer.
J’ai quitté la Ville en Bois en 56. La cité Magnan à Tasdon a servi à reloger les gens. »
Charlette Dagusé
Charlette Dagusé est née rue Saint Michel où habitaient ses parents et grands-parents.
« Je n’ai pas vécu à la Ville en Bois, mais ma mère y travaillait et j’y étais souvent. J’aimais beaucoup la Ville en Bois, les gens y étaient solidaires. Tous regrettent ce qu’on y a vécu.
La mère d’Arlette et ma mère, qui n’étaient pas grandes, montaient les huîtres sur leur dos, puis les mettaient dans des charrettes à bras. Elles partaient à pied jusqu’à la Ville en Bois. Puis on les vendait à un marchand, M. Têtu ou M. Chemin qui les revendait partout. Elles repartaient à la pousse. C’était dans les années 60. Pour pêcher sur les banches, il y avait des dates d’ouverture. Quand les banches étaient fermées, on allait dans nos parcs. On faisait aussi du captage.
Mon mari était marin. Il a été chef mécanicien puis patron sur les petits bateaux. Il a commencé en 52 après l’Indochine jusqu’à ce qu’il soit tué en 75. Il a été renversé par une voiture à Bordeaux, quai de Bacalan où il travaillait aux remorqueurs. Il avait 45 ans. Il travaillait 10 jours, il se reposait 10 jours, c’était formidable. Un mois après, il avait une place sur les remorqueurs à La Pallice.
La vie de marin c’est une vie dure. On n’était jamais tranquille, surtout mon mari, c’était des petits bateaux. Au début, Il avait fait l’Avocette, sitôt marié, sitôt 52 jours de mer. Et il s’était promis de ne plus jamais le refaire. C’était toujours l’inquiétude.
Ce sont les femmes qui s’occupent de tout, qui font le papa et la maman. Entre femmes de marin, on se soutenait.
Ils ont gagné de l’argent à l’époque, ça a été la cata après. J’ai travaillé dans les centres Leclerc à Jéricho et j’ai fini ma carrière à Lagord. J’étais caissière. J’ai toujours continué dans le commerce. Ça me plaisait. Mes parents n’auraient pas voulu que je travaille dans les huîtres. Ma mère disait à propos de la mère d’Arlette, « Elle va rester sur la côte. » Ma mère était prête d’accoucher, elle continuait à travailler aux huîtres. « Tu vas accoucher dans l’eau si tu continues », elles étaient dures au travail.
Après les sacs ont été chargés dans une camionnette, il n’y avait plus la route à faire avec la charrette. Pour travailler, les femmes avaient des culottes bouffantes aux genoux.