Second sur l’Angoumois

Entretien avec Yves Gaubert

 Richard Pillard a fait une carrière de 17 ans comme marin pêcheur à La Rochelle. Il a été second de l’Angoumois avant de devenir capitaine de remorqueur pour les travaux maritimes et l’off shore pendant 25 ans.

 « J’ai été marin pêcheur. Je suis descendant de cap-horniers, j’ai été élevé au port de La Turballe. J’allais sur les canots à 13,5 ans comme passager. J’ai fait trois campagnes sardinières. Ma mère voulait que j’aille à La Rochelle passer mon bac, j’ai fait le BEPC et j’ai fait la session 59-60 à l’EAM de La Rochelle. J’ai fait de nouveau trois mois à la sardine puis j’ai embarqué sur le Saint-Patrick un 42 m qui pêchait sur les côtes d’Espagne. Il y avait un équipage formidable et un bon patron.

Je me suis embarqué ensuite sur un autre industriel puis, avec un copain, sur L’œuvre, un petit bateau, 18,50 m. Avec le Baraka, le Gascogne, le Manuel Joël, on essayait des campagnes de langoustine sur les côtes anglaises. Ces bateaux gagnaient bien leur vie. J’ai fait 6 ans sur L’Oeuvre et je suis passé sur le Rocambole. Sur L’Oeuvre, on pêchait aux îles d’Aran, fin octobre. Un après midi, la météo n’était pas bonne. Le soir le vent commençait à fraîchir, on avait les îles Blasket à passer. Vers 1 h du matin, on était à mi-vitesse parce que le temps était dur. Le patron me dit « Dès que t’as doublé Blasket, tu vires au sud ». On ne progressait que très lentement. A un moment, j’ai vu une masse blanche qui arrivait sur le bateau. On a pris ce paquet de mer comme une bombe. J’avais de l’eau plus haut que les genoux dans la passerelle. L’eau est descendue dans le poste d’équipage, j’ai hurlé, les gars sont montés à toute vitesse. Sur bâbord tout le pavois était parti, il restait les jambettes. On était bloqué là, plus question de faire la route, on a ramassé le chalut tombé à l’eau, comme on pouvait. La pompe de cale n’a pas lâché. Pierrot Marty, le mécano nettoyait la crépine au fur et à mesure. A 7 heures, le patron a informé le Cross de notre situation. Un Etellois s’est mis près de nous, le temps était resté moyen. Le patron ne voulait pas laisser son bateau : « Moi je reste à bord, vous, vous évacuez ». On lui a répondu : « Si tu pars pas, on reste. »

Le vent a commencé à mollir, on tenait bien. « On va voir si on peut aller se faire réparer à Cork », a dit le patron. Quand on est allé sur le pont, on a vu que le gaillard bougeait. On a tout sorti du magasin, côté tribord les jambettes avaient cassé. On a pris les funes, on a ceinturé le gaillard, on a viré au treuil. On arrive au Fastnet, calme plat. « On va essayer d’aller jusqu’en Bretagne, » On se lance, on arrive à Sein, bonne météo, on longe la côte, on est arrivé à La Rochelle

Je naviguais sur le Rocambole en 1968, Et j’ai passé les examens, patron capacitaire, lieutenant de pêche et patron de pêche. J’ai commandé mais sans réussite.

Sur l’Angoumois j’étais second, pour faire mes 19 mois et valider le patron de pêche. J’étais avec René Donard, comme patron, sur les côtes espagnoles en 1972-73. Les Espagnols ont arraisonné quelques bateaux de pêche qui travaillaient dans les eaux territoriales, Ils avaient un vieux patrouilleur à vapeur qui marchait à 6 nœuds. Quand il quittait le port, on voyait son panache de fumée. Quand il arrivait, il n’y avait plus personne. Ils se sont équipés de vedettes rapides dans des petits ports sur la côte. Un jour, ces vedettes ont saisi plusieurs bateaux. Un patron a échoué son bateau sur la plage, Joseph Puillon. Un bateau échoué, un capitaine peut faire appel à une compagnie de remorquage, Les autorités espagnoles n’ont rien pu faire. Les espagnols ont passés leurs eaux territoriales de 6 milles à 12 milles, puis à 24 milles. Le plateau continental est étroit. On ne pouvait plus pêcher.

Il a fallu aller ailleurs, Ouest Irlande, Ouest Ecosse sur des fonds de 350 à 550 mètres/ Comme tout le monde faisait la même chose, on a eu un appauvrissement des fonds, La Rochelle n’est pas un port de poisson du nord, (colin cabillaud).Les mareyeurs ont acheté les plus beaux calibres, le poisson plus petit se ne vendait pas, il partait au retrait. Ramasser le plus gros poisson a abouti à la destruction massive. Il fallait pêcher deux ou trois fois plus pour compenser la rentabilité, avec des bateaux à la capacité de gasoil limitée, des cales de 60 tonnes. On pêchait du merlan patassou. En détruisant les stocks, on appauvrit aussi les espèces derrière qui s’en nourrissent. J’ai fait 17 ans à la pêche.

A la suite de ça, en 75, je suis parti en Guadeloupe pour commander un remorqueur. Je suis rentré dans les travaux maritimes et l’off shore, métier que j’ai fait pendant 25 ans comme capitaine, Syrie Arabie Saoudite, Espagne, Angleterre, Afrique. A la CMTM (Compagnie méditerranéenne de travaux maritimes), on partait 2 mois. On travaillait 12 h par jour, 7 jour sur 7, et on avait 15 jours de congés.

A la retraite je suis parti au Sénégal pour former des capitaines puis j’ai fait des convoyages de bateaux pour les Antilles, Je me suis acheté un bateau et j’ai pas navigué avec. Peut être l’année prochaine, je voudrais partir pour les Antilles, passer par Panama et revenir par le Cap Horn, j’aimerais connaître cette aventure. J’ai entendu dans ma jeunesse un frère de ma grand-mère raconter ses passages du Cap Horn. Un jour, la bordée était montée pour serrer la voilure dans le froid et le mauvais temps, Ils n’y arrivaient pas, Le capitaine envoie la deuxième bordée qui monte sur le pont. A ce moment-là, un paquet de mer emmène une partie de l’équipage dont son jeune frère. Il raconte qu’il avait vu son frère qui regardait vers le haut et lui faisait signe. »

 

Témoins: 
Pillard

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