Prosper Trocmé : la pêche à la sardine, par Yves Gaubert
La pinasse de mon père, c’était la Bételgeuse. Ce bateau était fait pour fuir le mauvais temps. Il faut savoir fuir et si votre bateau, il dégouverne en fuyant… Le bateau de mon père était fort de l’avant, mais il était très fin après. Il s’assoyait dans l’eau. Mon canot, je l’ai fait construire pareil, ça m’a sauvé la vie deux fois. Je rentrais comme ça, oh ! La trouille. Parce que la côte sud de l’île de Ré et l’ouest d’Oléron sont un des endroits en France où on trouve la mer la plus creuse. C’est dans les instructions nautiques.
J’ai été fait grand sardinier de l’ordre de Saint-Gilles, à Saint-Gilles Croix de Vie, c’était en 55.
J’ai commencé la pêche en faisant la sardine avec mon père. Ensuite, j’ai fait construire mon petit bateau que j’ai eu toute ma vie, l’Eros. Les dernières sardines que j’ai pêché, c’est avec l’Eros. Après j’ai fait les crustacés, le bouquet, le homard, le crabe…
Là, sur la photo, c’est la plage de la Grange (sur la côte ouest de l’île), on voit l’ancienne usine à sardines. C’était à Ars-en-Ré, les Allemands l’ont fait sauter en 1942 ou 43. J’ai fait ma carrière à la pêche dans ce port. J’ai commencé à 14 ans, sur la Bételgeuse.
On pêchait avec des œufs de morue et des tourteaux d’arachide. On avait des fûts de rogue qui venait de Norvège. C’était des grosses poches d’œufs de morue. Ils avaient une façon de saler leurs œufs, on n’a pas réussi à faire pareil. On pêchait au filet droit, au filet bleu. On était trois, mon père, Jacques, mon frère, et moi. Le poisson était pris par le cou dans le filet, quand on tamisait, la sardine perdait du sang et c’était meilleur pour la conservation du poisson. La sardine est un poisson très très sanguin. L’heure de départ était en fonction de là où on avait trouvé la pêche la veille. On faisait beaucoup de route pour la trouver. On partait toujours d’Ars en Ré. On mettait le filet dans les petites embarcations, les pinassons. Après la pêche, les pinassons s’embossaient le long de la pinasse. On mettait des serpillères pour que le poisson ne tombe pas à l’eau en montant le filet et ensuite on faisait le tri sur la pinasse. L’appât, les œufs de morue et les tourteaux de cacahuètes faisaient ce qu’on appelle un graissin. On était toujours dans l’axe du vent quand le filet était à l’eau. On balançait l’appât sur le liège et ça s’étendait dans l’eau et ça faisait du gras sur l’eau. C’est ce qui faisait monter la sardine.
Les pinassons s’emboîtaient les uns dans les autres, celui de mon père était plus grand, celui de mon frère plus petit. A 12 ans, mon frère allait dans le pinasson. C’était un sacré pêcheur de sardines, mon frère. C’est moi qui restais à bord la plupart du temps.
A l’arrivée des filets tournants, ça a été la catastrophe, parce qu’ils pêchaient des poissons de toutes les grosseurs. Tandis que nous, on pêchait sélectionné. Il n’y avait que la sardine qui rentrait dans les boites. C’était la petite sardine et on ne pêchait pas les grosses. La sardine était régulière.
Les sardiniers, c’est des bateaux qui faisaient une douzaine de mètres. Ce sont des collègues qui ont fait venir les filets tournants. Mon père était à couteau tiré avec eux. Ils se seraient foutus sur la gueule. Mon père disait : « Vous êtes des gâcheurs de métier. » A La Rochelle, il n’y a plus une sardine, pour la sans sel rochelaise, c’est fini.
J’ai commencé à 14 ans en 46. Je suis né en 32. J’ai fait la sardine avec mon père moins de 10 ans et j’ai fait les dernières sardines sur mon bateau. Il nous restait de la rogue avec mon père et nous sommes allés pêcher deux fois avec mon bateau.
Sur le pont, on comptait les sardines et on mettait tant par caisse et on partait les vendre comme ça. Mon père faisait le tour de la commune et criait « A la sardine sans sel » et les gens venaient à la maison avec des assiettes chercher leurs sardines.
Voilà ce que j’ai écrit : « Vers les deux heures du matin et en fonction de la distance à parcourir… Quand on avait perdu la pêche, on la cherchait à la lueur de la phosphorescence qui pouvait être ténue ou presque féérique avec les bancs de maquereaux et de sardines au contact du nocticula scintillant qui la provoque. Ce sont les oiseaux de mer qui nous faisaient trouver les bancs.
« La préparation des appâts qui est un cauchemar pour des mousses, celui-ci a droit à ouvrir les poches d’œufs de morue et bien enlever les peaux qui sont le régal des prédateurs. On met la valeur d’un petit seau d’œufs de morue pour trois grands seaux de tourteaux de farine d’arachide. Cette pâte va s’épaissir par la suite et on mélange tout cela avec de l’eau de mer.
« La mise à l’eau des pinassons, c’est tout un rituel, on embarque la baille, le filet droit. Dans le pinasson, il y a trois tolets, trois estropes, quatre cailloux et une escoupe et le mousse n’a pas intérêt à oublier quelque chose. Si le poisson est là, au lever du jour, on repose au même endroit. Le platier commence à jeter de la strouille en mettant son filet à l’eau. Il se met dans l’axe du vent, il prend le vent dans les pavillons des oreilles et il jette par poignées la strouille sur le filet et regarde des deux côtés du filet pour voir si le poisson est là. Il peut, avant la montée du poisson, voir les bourbouilles (les petites bulles d’air que lâchaient les sardines) puis il aperçoit le frémissement des lièges supportant le filet. »
Là c’était le régal quand on voyait les filets qui bougeaient. On voyait le poisson qui se maillait, c’était superbe. J’en garde des souvenirs ! J’ai fait la pêche au homard, mais ce n’est pas du tout pareil. Il y avait quelque chose qu’on ne reverra plus jamais.
Maintenant, c’est la destruction, être obligé de couper les sardines en deux pour les faire entrer dans les boites, c’est plus aimer son métier. D’ailleurs, il n’y a plus de sardinier.
J’ai vu des filets avec 10 000 sardines dedans ! J’ai vu faire notre pêche sur une première pose. Si le poisson ne monte pas, on se déplace et on cherche les indices. Les filets bleus, c’était du coton C’est mon père et ma mère qui ramendaient, moi j’ai jamais été très bon pour ça. Le poisson ne voyait pas le filet et était maillé par le cou. On remontait le filet par poignées. Il fallait prendre le filet dans le sens de la maille. Il fallait secouer le filet pour démailler le poisson. Il y avait des sardines avec le museau jaune et d’autres avec le museau noir. Avec 10 000 de sardines, on en avait assez, on rentrait. On ne les faisait pas tous les jours. On lavait le filet le long du bord pour enlever le sang et on l’arrosait pour qu’il ne s’échauffe pas, pour pas que le coton pourrisse. On le mettait à sécher en arrivant, des fois c’était sur la digue de la Grange. On attendait que le soleil tombe un peu parce que ça aurait brûlé le coton. On avait des filets de plusieurs maillages, ça dépendait sur quel poisson on tombait.
Mon père quand il vendait la sardine, on l’entendait à l’autre bout de la commune. Il avait une voix ! On vendait chez nous dans la rue du Palais. Si ça ne partait pas, on prenait la voiture et on allait vendre dans une autre commune.
Yves Gaubert