Le slipway de La Rochelle : un équipement au service de la pêche
Un texte de Yves Gaubert
Le slipway est une longue rampe qui permet de sortir les bateaux de l’eau pour des travaux de carénage ou de réparation qui ne peuvent se faire à flot. Le bassin des chalutiers de La Rochelle dispose d’un tel équipement. Installé au sud du bassin, il se présente comme un grand plan incliné à 5° muni de rails. Sa longueur est de 195 mètres dont 120 mètres immergés. Un chariot recevant le ber qui maintient les bateaux roule sur les rails. Celui-ci entre profondément dans l’eau pour se disposer en-dessous du bateau à remonter. Des câbles reliés à une machinerie et un tambour de 2,50 mètres de diamètre hissent le chariot et le bateau hors de l’eau permettant toutes les interventions nécessaires.
L’installation d’un tel équipement est demandé par les armateurs à la pêche de La Rochelle dès 1926. A cette époque, les chalutiers industriels qui mesurent plus de 40 mètres de long pour 7 mètres de large et 500 tonnes de déplacement utilisent les formes de radoub de La Pallice pour effectuer les carénages et les travaux divers. Mais les deux formes sont utilisées pour les bateaux de commerce et les périodes de disponibilité sont rares. Un dispositif pour le carénage des navires de pêche apparaît donc indispensable aux armateurs.
Deux solutions sont proposées par les ingénieurs des services maritimes des Ponts et Chaussées, une forme de radoub ou un slip way. Plusieurs avant-projets sont étudiés en 1930 et 1931 mais n’aboutissent pas. Fin 1933, le syndicat des armateurs revient à la charge : « leur préférence va vers un engin de type Crandall, avec chariot principal portant 800 tonnes et un chariot auxiliaire portant 450 tonnes » (dossier de classement du slip way).
Survient la crise de la pêche, un manque d’enthousiasme de la chambre de commerce qui voit le slip way comme une concurrence aux formes de radoub qu’elle gère. Le projet est gelé. Mais Oscar Dahl, armateur rochelais, relance l’affaire en 1939 vu la saturation complète des formes et les retards considérables pris dans le carénage des chalutiers. Cette fois la chambre de commerce est partie prenante puisque c’est elle qui doit prendre en charge la gestion du futur équipement. Et cette réalisation s’inscrit dans la prévision de la restructuration du bassin avec la construction d’un nouvel encan sur le quai Est. Le projet est approuvé en décembre 1940. Le devis de construction du slipway est de deux millions de francs.
La guerre va changer la donne. L’activité de pêche est très ralentie, La Rochelle est en zone occupée. C’est l’armée allemande qui va reprendre l’affaire à son compte. Elle fait donc construire le slipway par des ouvriers français réquisitionnés. Cet équipement complète les installations de la base de sous-marins établie dans le bassin à flot de La Pallice. Le slip va servir à l’entretien des « schnellboots », des torpilleurs capables de marcher à plus de 40 nœuds.
La machinerie est prise par l’occupant dans un port hollandais. Une grue d’une capacité de 3 tonnes est récupérée au port de La Pallice. En 1943, l’ensemble est opérationnel. Et en juin 1945, après l’armistice, la chambre de commerce obtient la concession pour l’exploitation du slip qui est de nouveau en activité dès le mois d’août. Le service tourne rapidement à plein avec deux électriciens, un ouvrier d’entretien et un manœuvre. En 1947, le gouvernement hollandais demande la restitution de la machinerie. La chambre de commerce renvoie toutes les pièces de rechange et rachète « le matériel en exploitation ».
Le slip fait l’objet d’une utilisation intensive, liée au développement de la pêche. En 1954, la chambre de commerce doit envisager des travaux à cause de l’usure des engins. Après appels d’offre, des réparations et améliorations sont entreprises en 1958 : remplacement des rails et des deux chariots, construction d’un ber latéral équipé de sa machinerie. Le slip peut alors hisser un bateau de 700 tonnes et 53 mètres, ou deux de 300 tonnes et 36 mètres, le ber latéral peut prendre en charge un bateau de 300 tonnes et 36 mètres.
Le slip fonctionne dans cet état jusqu’en 1997 et à partir de 1995, uniquement pour le musée maritime. Son utilisation s’arrête alors pour des raisons de sécurité. Le musée n’a pas les moyens de mettre l’appareillage aux normes. Une demande de classement en tant que monument historique est déposée. Obtenu fin 2002, le classement va permettre la restauration du slipway et d’envisager son utilisation pour l’entretien des bateaux du patrimoine.
Yves Gaubert