Henri Moulinier : Oscar Dahl, le premier grand armateur à la pêche, à partir de 1904
Oscar Dahl est né à Sarpsborg, en Norvège, qu’il quitte à l’âge de 15 ans. Il fait le tour du monde comme pilotin, passe le Cap Horn plusieurs fois, se fixe ensuite à Cardiff, en Angleterre, chez son frère, puis, en 1895, vient à La Rochelle, chez un autre agent maritime, pour perfectionner son français. Il a 25 ans. « Selon la légende, il est venu sans le sou » me dit Emile Vinet. Il s’est imposé très vite à La Rochelle ». « Il devait avoir des recommandations et il possédait des qualités fortes : intelligence, esprit,… »[1].
Ce qui est sûr, c’est qu’il épouse, à La Rochelle, une demoiselle Thérèse Billote, qui n’est autre que la fille du directeur de la Banque de France, la petite fille du peintre et écrivain Eugène Fromentin. ». Sa belle famille l’a-t-elle aidé ? » s’interroge Emile Vinet.
C’est après son mariage qu’il acheta deux cargos, l’un faisant le transport des bois du Nord, l’autre transportant des marchandises en Afrique. Ce dernier se perdit sur le banc d’Arguin, au large du Sénégal. Oscar Dahl fut naturalisé français le 8 avril 1900.
En 1904, il fonde un armement à la pêche qui prend le nom de Pêcheries de l’Atlantique. Sa forme juridique est celle d’une société en Nom Collectif, au capital de 630 180 francs. Cet armement va comprendre les chalutiers Shamrock, déjà cité, dès 1904, le Pen-Men, la Banche et le Chanchardon[2]. Il s’associe, ensuite, avec M. Garrigues, un avocat pour acheter deux autres chalutiers de 38 mètres, le Chauveau et le Cordouan, puis une série de quatre chalutiers de 38 mètres achetés en Angleterre : les Baleines, la Coubre, Chassiron et Rochebonne. Tous ses chalutiers portent le nom de phares. M. Garrigues quitte la société en 1919, à la suite d’un conflit personnel.
Un personnage emblématique
Selon Emile Vinet, Ingénieur d’armement dans la Société Dahl, Oscar Dahl était un « personnage hors du commun »[3]. « On ne pouvait qu’être frappé par sa volonté, la précision de ses raisonnements, son pouvoir de conviction sur ses interlocuteurs, qui expliquait son rôle déterminant dans la création et les activités de nombreux organismes scientifiques de formation, de recherche ou interprofessionnels, … » témoigne Emile Vinet[4]. « En 1945, à 75 ans, Oscar Dahl était encore un homme d’apparence jeune, d’une stature imposante (…) ». La maison Dahl était installée dans une grande maison, 29 quai Valin, à côté du phare. (…). L’emblème de l’armement était le trèfle à quatre feuilles rouges, peint sur les cheminées des bateaux. Oscar Dahl était un homme respecté par son personnel et très conscient de son rôle et de ses devoirs de patron. « Chez Dahl, les salaires étaient généralement modestes, mais complétés par de multiples avantages indirects (…) ».
Oscar Dahl est, selon Yves Gaubert[5], l’armateur à la pêche à vapeur de La Rochelle le plus « emblématique », avec son concurrent direct, Fernand Castaing. Il demeurera Rue Réaumur, dans un hôtel particulier, à côté de la Banque de France. Il a inspiré à Georges Simenon le personnage d’Oscar Donadieu, l’armateur, dans son roman : « Le testament Donadieu », histoire d’une réussite qui a fortement marqué la pêche rochelaise entre les deux guerres.
Il meurt en 1949. Jacques Babinet, beau-frère d'Erik Dahl, prend alors la direction de l’entreprise, jusqu’en 1968, date de sa disparition, à son tour. Bernard de Suyrot, autre gendre d’Erik Dahl, est contraint de liquider l’entreprise dans la première moitié des années 1970[6]. Erik Dahl est le fils d’Oscar Dahl. Il devient naturaliste. Président d’honneur de la Société de sciences naturelles de Charente-Maritime, Il décède en 1986[7].
Un petit empire…
Oscar Dahl a fondé un petit empire où toutes les activités sont intégrées depuis la production jusqu’à la distribution. En 1926, les Pêcheries de l’Atlantique s’installent dans un magasin de 1 500 m2 sur le quai est du bassin des chalutiers. En face, Oscar Dahl possède ses charbonnages et des ateliers de réparation pour ses bateaux. Par ailleurs, il a une glacière qui fournit la glace nécessaire à la conservation du poisson. Dans les années 1920, l’armement Dahl dispose d’une trentaine de camions qui livrent le poisson dans les 52 succursales réparties essentiellement dans la moitié sud de la France. En outre, il crée à Aytré, en 1912, une usine de transformation des déchets de poissons et de poissons non comestibles en farine alimentaire destinée aux animaux[8].
En 1939, il relance le projet, gelé par la Chambre de Commerce locale, de slip way, compte tenu de la saturation complète des formes de radoub et les retards considérables pris dans le carénage des chalutiers. Le projet est approuvé en décembre 1940. Il sera réalisé, sous occupation allemande, par des ouvriers français réquisitionnés[9]
Le chalut Vigneron-Dahl : une innovation rochelaise révolutionnaire
Oscar Dahl est passionné de nouveautés scientifiques et techniques. Il dispense « une énorme fortune en frais de recherches et d’essais (…) et ce sont les résultats obtenus sur ses propres bateaux qui assurèrent l’extraordinaire prospérité entre les deux guerres de son entreprise (jusqu’à 12 bateaux de plus d’une quarantaine de mètres) (…). Son bureau était un constant lieu de rendez-vous de grands scientifiques, hommes d’affaires, industriels de toutes nationalités, liés à la mer » dit Emile Vinet[10].
C’est une « personnalité très en avance sur son temps, visionnaire même, une largeur de vue peu commune », « un esprit scientifique aigu et possédant une véritable passion pour les choses de la mer » affirme encore Emile Vinet. Il équipe ses bateaux des matériels les plus innovants : émetteurs radio (1920), congélation du poisson (1928) et surtout, avec J.B. Vigneron, il contribue dès 1922 à l’expérimentation du chalut à panneaux modernes, dit chalut Vigneron-Dahl.
Fin XIXe siècle apparaît une invention, celle du chalut ottertrawl[11]. Il s’agit d’employer deux plateaux de bois qui, fixés sur les côtés de la poche, fonctionnent remorqués dans l’eau, comme un cerf-volant dans l’air et tendent à s’écarter l’un de l’autre sous l’effet de la traction en avant du bateau chargé de le remorquer[12].
A partir de 1898, son introduction donne une impulsion décisive au développement rapide de la pêche industrielle, permettant une augmentation conséquente du rendement des pêches[13].
De multiples transformations tendant à perfectionner, à faciliter sa manœuvre, à augmenter son pouvoir de capture, ont été apportées à l’Otter trawl. Les transformations les plus importantes résident dans la réalisation du chalut V.D. ou Chalut Vigneron-Dahl, du nom des inventeurs. Jean-Baptiste Vigneron, armateur en Méditerranée, qui a déposé un premier brevet en 1912, rencontre en 1920 Oscar Dahl. L’association des deux hommes viendra à point nommé pour sauver J.B. Vigneron de sérieuses difficultés financières, compte-tenu du coût de ses travaux de recherche. Ils vont travailler avec William Black, déjà employé par Oscar Dahl, qui part étudier les techniques de pêche en Espagne. Des essais sont menés au cours des années 1921-1922. Ces recherches coûtent énormément d’argent à la Société Dahl : plus d’un million et demi de francs à la fin 1921[14]
Leur apport réside dans l’introduction entre l’extrémité des ailes et les planches ou panneaux, de longs câbles ou « bras » de manille et d’acier de 45 à 90 mètres de long. Ainsi, les panneaux ne sont plus directement fixés à la poche ou sur les ailes du filet, mais à une distance plus ou moins grande de l’engin ( Doc 7). Ce dispositif donne au chalut un champ d’action plus étendu puisque les planches sont normalement écartées du filet pendant le remorquage et que les bras restant probablement en contact avec le fond agissent alors en effrayant le poisson et en le dirigeant vers l’ouverture du filet. Ainsi, le poisson est ramené dans de meilleures conditions, le volume des captures augmente, la consommation de charbon, elle, diminue. Le chalut V.D. est rapidement adopté par de nombreux chalutiers français et étrangers[15] .
Après de multiples essais, cette invention fait l’objet du dépôt d’un brevet d’invention, délivré en 1922[16]. Pour pouvoir utiliser ce chalut, les armements doivent signer « un contrat de location que l’administration nous oblige à faire enregistrer ». Pour deux chalutiers, l’Aunis et le Poitou, et par mois, « l’emploi du dispositif V.D. sur ses navires » coûte 8.820 francs à M. Veron, armateur rochelais[17]. Fernand Castaing, deuxième grand armateur rochelais à la pêche, et concurrent d’Oscar Dahl, refuse de déclarer l’utilisation de ce dispositif V.D. et sort son propre chalut qui ressemble au chalut V.D. Oscar Dahl lui intente un procès en 1923, pour « contrefaçon ». Après une série de procès, de renvois et de polémiques, il faut attendre 1928 pour que les Tribunaux de Rennes et de Lorient déclarent valables les deux brevets déposés par Dahl et Vigneron. Les deux associés peuvent commercialiser normalement leur invention[18].
[1] VINET Emile, Ingénieur d’armement chez Oscar Dahl, rencontre à son domicile rochelais, le 18-01-2011
[2] CAMENEN Joseph, Regards sur une vie de marin -pêcheur, Paris, 1979, Pen Duick, p.225
[3] GAUBERT Yves, site histoiresmaritimesrochelaises, Musée Maritime de La Rochelle, 21-8-2011
[4] VINET Emile, Oscar Dahl, In Le monde de la mer, Paroles de rochelais, La Rochelle, 2006, p.37
[5] GAUBERT Yves, idem, fiche de l’armement Dahl.
[6] VINET Emile, op. cit.
[7] NECRLOGIE, Annales de la Société de sciences naturelles de Charente-Maritime, 1987, pp. 587-590.
[8] MAHE Jean-Louis, Petite histoire de la pêche rochelaise, La Rochelle, 2003, Ed. personnelle, Pp. 81-83
[9] GAUBERT Yves, Op. cit., Le slip way de La Rochelle : un équipement au service de la pêche
[10] VINET Emile, Oscar Dahl, In Le monde de la pêche, Paroles de rochelais, La Rochelle, 2006, p.37.
[11] Otter-Trawl : vient d’Oter (norvégien) et Odder (danois), loutre en français, à cause des belles pêches qu’il permettait de réaliser. On donne le nom d’otter trawl au chalut portant latéralement deux cerfs-volants ou otter (note d’Ed. LE DANOIS, Manuel des pêches maritimes, Op. cit, p. 28)
[12] LE DANOIS Ed., Op. cit., p. 28
[13] MAHE Jean-Louis, op. cit., p.59
[14] BIARD Vaillant, Querelles de chaluts à La Rochelle, un épisode de la pêche industrielle, Le Chasse -Marée, n°52, Octobre 1990, pp. 11-13
[15] LE DANOIS Ed. Op. cit., pp. 34-35
[16] BREVET D’INVENTION n° 547.913, délivré le 6-10-1922, publié le 28-12-1922 par l’Office National de la Propriété Industrielle, Fonds privé Henri VERON, remis et consulté au Musée Maritime de La Rochelle, 6-2011
[17] VIGNERON-DAHL, Courriers à Henri VERON, armateur rochelais, en dates du 24-1-1923 et 23-6-1923, Fonds privé Henri VERON, déjà cité.
[18] BIARD Vaillant, Querelles de chalut à La Rochelle. Un épisode de la pêche industrielle, Le Chasse-marée, n°52, 10-1990