« On passait dedans… », un récit de Richard Pillard

Récit tiré des interviews enregistrées lors des jeudis "Alors, Raconte" 2010

Il faut se replonger dans le contexte de l’époque. Comme je l’ai dit tout à l’heure, les chalutiers,  ces gros chalutiers travaillaient très près de la terre, et, bien sûr, il y avait aussi tous ces petits bateaux espagnols qui allaient mettre des lignes, des filets. Quand le poisson rendait, les patrons de ces gros bateaux, ce qu’ils regardaient, c’était leur rentabilité. Alors, le matin, quand ils mettaient en pêche, ils voyaient les bouées des lignes espagnoles et ils disaient « On passe dedans ».  Quand on virait, les gars venaient avec leurs petites barcasses devant nous pour nous implorer de ne pas passer dedans. Ils venaient avec leurs bateaux les gars. Ils nous imploraient de ne pas passer dedans. Et …on passait dedans. On enlevait tout…on enlevait tout. Quand on relevait,  les gars, ils venaient à côté de nous pour essayer de récupérer le maximum de ce qu’ils pouvaient récupérer si on voulait bien le leur donner. Et dès que ça arrivait, que leurs lignes arrivaient, on coupait au couteau, on coupait au couteau. Et les hameçons partaient. Tous les patrons rochelais l’ont fait que ce soit sur les gros pêches-arrière ou sur les classiques. Moi, j’ai navigué avec un patron sur un classique qui faisait mettre une fune au cul avec une boule derrière, avant de mettre en pêche... Certains patrons ne pouvaient pas mettre pied à terre sur les ports espagnols sans risquer des représailles de la part des pêcheurs espagnols. Quand il y a eu cet accident à la suite duquel le frère de Gérard Delage est décédé, il a fallu aller à terre pour emmener les blessés se faire soigner. Le patron, lui, il s’est planqué parce qu’il avait peur d’être attrapé. Il s’est planqué pendant tout le temps que le bateau était à terre, et, c’est son neveu qui était le lieutenant à bord qui l’a remplacé. Oui, il faut le dire : les pêcheurs rochelais ont été impliqués dans ces conflits avec les Espagnols. Et patrons ou marins, on n’a pas pris conscience de cette misère qu’on a imposée à ces marins pêcheurs espagnols qu’on appelait « les espingouins ». Je voudrais bien qu’aujourd’hui, la corporation maritime de la pêche reconnaisse ce que l’on a fait subir à ces petits marins.

Témoins: 
Pillard

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