Fiche du navire
France 1
Le 31 décembre 1985, au terme de sa dernière station au point Roméo, au milieu de l’Atlantique, la frégate météorologique France 1 rallie le port de La Pallice-Rochelle. L'apparition des nouvelles technologies et la mise en service des satellites avaient mis fin à sa carrière et à celle de son sister-ship France 2. Patrick Schnepp, fondateur du Musée Maritime de La Rochelle saura convaincre Michel Crépeau, Député-Maire de La Rochelle, d'acquérir le France 1 pour en faire le navire amiral du Musée Maritime de La Rochelle.
Témoins
Armements
- Pierre Layec : 2 Garçon de carré dans la tempête
- Jean-Paul Benec'h : 24h/24 par tous les temps, par toutes les mers
- Pierre Layec : 3 Loisirs du bord
- Pierre Layec : 4 Un noël mémorable
- Jean-Paul Benec'h : 42 ans dans les nuages…
- Pierre Layec : 6 Une voix céleste au-dessus du France 1
- Henri Bouchon : A bord du Mermoz
- Jean-Paul Benec'h : Baignoire à bord !
- Patrick Schnepp : Classement du France I
- Des anciennes frégates météo au « frégates » France 1 et France 2
- Drame à bord du France 2, Un récit de Franck Thevin, mousse à bord
- Eric De Smedt : Feuilletez "Embarquement", un récit de Eric De Smedt
- Jean-François Delvaux, médecin à bord de France II
- Pierre Layec : Le grand Layec et les chiottes à la turque du France 1 !
- Robert Naud : Les ACRP et l’entretien des navires météo stationnaire
- Jacques Cherbonnier : Les bateaux, ça me plaisait
- Jacques Cherbonnier : Loisirs à bord
- Guy Cadoret : Matelot à bord du France I
- Yves Brand : Navigation à bord du France 1
- Michel Faivre : Nous les matelots, on ne cherchait pas à monter…
- Jean-Paul Benec'h : Premier embarquement sur France 1
- Michel Faivre : Un Noël à bord
Drame à bord du France 2, Un récit de Franck Thevin, mousse à bord
Tout a commencé, il y a 40 ans. Un professeur de géographie m’avait fasciné par ses récits sur l’Afrique. J’avais alors 12 ans. Je n’avais plus qu’une idée en tête : y aller. Tout le long de ma scolarité, je passais mon temps à rêver de brousses, de villages dans la savane… On me prenait pour un « je m’en foutiste » sauf mon petit cercle d’amis qui connaissait ma détermination et qui savait qu’un jour, je partirai !
J’ai passé le concours du CETM (Centre d’Etudes Techniques Maritimes) de Marseille avec mon meilleur copain qui, pour ne pas rester tout seul à Mimizan, avait décidé de me suivre dans ce choix. Nous avons réussi tous les deux ce concours et sommes partis à Marseille en octobre 1971. En mai 1972, le CEAM en poche, à nous l’Afrique, pensais-je !
En juin de la même année, un télégramme me signifie mon embarquement sur le France 2 à La Rochelle. Mes parents m’y accompagnent et là, je découvre que je ne pars pas en Afrique mais …au point K comme mousse. Par contre, je pense que je vais retrouver mon ami Christian Arnaud avec qui j’ai passé l’année à Marseille. Le bosco me montre ma cabine que je dois partager avec le novice et me demande de le rejoindre à l’office. Après avoir fait la vaisselle, il passe me voir et m’annonce que le novice vient d’arriver. Je vais dans la cabine : c’est bien Christian !
Après quelques jours à La Pallice, nous partons en mer direction le point K. Tout le monde s’occupe de son domaine d’activité : les météorologues, de leur système et l’équipage, du bateau. Durant ces premiers jours, je suis malade comme un chien. Il y avait des creux de 20 mètres et des vents de 180 Km/h ! Nous sommes pourtant en été mais ça bouge pas mal dans ce coin du globe !
Le plus jeune de l’équipage, je suis devenu, après quelques jours, la mascotte du bateau. Pour autant, pas de cadeaux ! Les journées s’étalent de 6h30 à 21h, 21h 30. Le chef des météos, Monsieur Margailhan et l’un de ses collaborateurs, Monsieur Young me font de temps en temps lancer des ballons météo avec eux. Sympa ! Comme le France 1 dispose d’un médecin et d’un infirmier de la Royale à bord, nous faisons aussi de l’assistance médicale pour les pêcheurs de la zone. Nous leur fournissons de temps en temps du pain frais. Les jours s’écoulent et durant les quelques moments de libres, nous pêchons des bonites que nous mangeons à toutes les sauces.
Un matin nous recevons un mayday d‘Angleterre (NDLR : un mayday est une expression utilisée internationalement dans les communications radio-téléphoniques pour signaler qu'un avion ou qu'un bateau est en détresse. Son usage est prescrit par la Conférence de Washington de 1927 de l'«International Radio Telegraph Convention» et applicable depuis le 1er janvier 1929. Le mot est une déformation volontaire anglophone de la phrase française : « venez m'aider ! ». (Lors d'une détresse, il doit être répété 3 fois.).
On nous signale que Lord Chichester qui participe à la Transat à la voile dont nous avons vu quelques bateaux dans les 48 h précédentes ne donne plus de nouvelles. Il est parti faire cette course, alors qu’il était atteint d’un cancer à la moelle épinière. Nous nous déroutons sur la zone où il devrait être et qui ne se trouvait pas trop loin du point k. Après quelques recherches au radar et à vue, nous retrouvons son bateau. Nous n’apercevons aucun signe de vie et nous nous en approchons. Il entre en communication avec nous et nous dit qu’il ne veut pas être soigné par des Français. Nous signalons sa position. Son fils, médecin de la Royale anglaise est à bord d’un bateau pas loin. Nous restons sur zone en les attendant. Tout d’un coup, alors que nous sommes proches de lui, une vague le déporte contre nous et le hauban de son mât de misaine se coince sur la gouttière d’un hublot et plie son mât…Les Anglais arrivent et nous regagnons le point K. Nous passons la journée bien entendu à parler de cet accident. Le soir, après la vaisselle, nous décidons avec Christian, le novice, l’électricien et 2 autres personnes dont je ne me souviens plus des noms de faire un Monopoly. Vers 23h30, nous regagnons nos bannettes et nous nous endormons. Tout à coup, la porte de la cabine s’ouvre bruyamment. Le bosco hurle : « POSTE D’ABANDON ! POSTE D’ABANDON ! »
Je suis dans la bannette du bas. J’attrape les Mae-West (NDLR : gilets de sauvetage) dans le tiroir. J’ai peur… Il faut que je me rappelle tout ce que l’on m’a appris à l’école …mais tout s’embrouille. Christian ne se lève pas ! On va mourir tous les deux ce n’est pas possible !
- « Christian, lève-toi, on coule ! »
- « Je n’ai pas entendu la sirène, je m’en fous ! »
Avec certainement quelques sanglots, je hurle :
- « Mais, merde ! On coule ! Vite, vite ! Il faut qu’on dégage ! »
Là, il bondit de sa bannette et cherche sa Mae-West que je lui tends. Je pense à ma mère, à ma petite copine F. Je vois sa photo sur la commode et la mets dans mon tee-shirt. Et puis d’un coup, je me rappelle ce que l’on nous a rabâché à l’école : débrancher tout et ne faire que ce qui est indispensable et surtout dans l’ordre ! Donc, premièrement, se couvrir car on meurt d’abord de froid. Christian, en me voyant faire, comprend de suite. Sans nous parler, nous savons que nous dépendons l’un de l’autre. Nous enfilons des vêtements sur plusieurs couches puis la Mae-West et montons sur le pont. Chacun va à sa chaloupe. Les bossoirs sont abaissés, les chaloupes au-dessus de l’eau.
Je demande à un matelot ce qui s’est passé. Il me dit que l’on a abordé un bateau qui a coulé… La vache et nous …Pensais-je… Il continue : « le bosco fait le tour et il y a les mécanos dans le trou. Ne t’en fais pas mousse ! Tu sais ce que tu dois faire et ne fais que çà ! Ne reste pas dans nos pattes ! »
Ne reste pas dans nos pattes ! Il en a de bonnes ! Et pourtant, il a raison : chacun a son poste et personne ne se gênera et tout fonctionnera dans l’ordre. Après un moment, le boscot nous annonce qu’il n’y pas de voies d’eau. Et là je regarde la mer un peu plus posément et je vois des planches remonter à la surface.
Le bosco donne des ordres : « vite, les chaloupes à l’eau ! Mousse va aider à mettre le zodiac à l’eau».
Toutes les embarcations à l’eau, je me penche pour regarder comme tout le monde dans le halo des projecteurs et j’essaye de repérer des naufragés. Tout d’un coup, un tas de planches remontent à la surface, le bateau a dû exploser sous la pression.
Cette nuit là, en France, une voisine de mes parents qui n’arrivait pas à dormir entend un flash spécial de la radio annonçant qu’un bateau, le France 2 est en train de couler en Atlantique. Elle descend affolée prévenir mes parents pour qu’ils écoutent le prochain flash. Je n’ose m’imaginer rétrospectivement la tension qui a dû régner à la maison. Mon père ne sera prévenu que le lendemain matin que finalement tout allait bien pour les marins du France 2.
Pendant ce temps, les matelots ont pu récupérer 4 survivants, nous leur passons des couvertures. Ils ne parlent pas français. Sur la plage arrière, l’un d’eux voit sa femme passer dans le remous de l’hélice… il est fou de douleur ! Nous ne retrouverons son corps que le lendemain après-midi (contrairement à ce qui a été écrit dans les articles de Sud-Ouest de l’époque, elle n’a pas été décapitée). Nous passons le restant de la nuit et le lendemain avec d’autres bateaux et des avions de recherches sur les lieux. Nous repêchons donc le corps de cette femme. Le garçon et une autre personne le descendent à la cambuse. Dans la descente, le corps touche le garçon. Jojo a comme de la mousse sur le visage…comme s’il avait été en train de se raser… En fait, cela provenait d’une mousse qui était autour de la bouche du noyé… Nous ne le reverrons pas le garçon pendant 48 h, choqué, il est resté enfermé dans sa cabine.
Le corps a été déposé dans le frigo à poisson. Mousse, c’est moi qui dois aller chercher les rations et le vin…Et tout seul ! Je ne suis pas fier du tout mais je dois le faire, c’est mon job et personne ne doit le faire à ma place. 72 heures après, nous sommes à La Pallice. Juste avant d’arriver au port, un prêtre ouvrier que nous avons à bord organise un office religieux à la cambuse. Je me cache derrière le vieux Job pour ne pas voir le corps. Le vieux Job a des doigts 3 fois comme les miens mais joue formidablement de son banjo qui n’a pas loin d’avoir son âge. Depuis, j’ai toujours eu un banjo dans ma vie. En rentrant dans le port, nous découvrons l‘Irma-Delmas en feu, un bateau de notre compagnie, la Delmas-Vieljeux, en feu. Il y a des moments comme çà… Voilà donc le récit de ce passage de ma vie de marin. Je ne sais pas comment vous l’interpréterez mais j’ai répondu à votre demande pour enrichir vos archives. Je remercie encore une fois le Musée Maritime de La Rochelle de mettre en valeur tout ce patrimoine.