Fiche d'un armement

A.R.P.V.

Jean-Claude Menu est une des figures majeures de l’armement de pêche rochelais et de la plaisance.  Il gérera l’ARPV , (l’Association Rochelaise de Pêche à la Vapeur), une entreprise familiale créée en 1912. Il fera construire l’Angoumois, un chalutier pêche arrière qui marquera une étape dans l’évolution des navires. Président du Syndicat des Armateurs, il fut aussi président de la célèbre Société des Régates Rochelaises.

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Henri Moulinier : l’Association Rochelaise de Pêche à Vapeur

             

L’Association Rochelaise de Pêche à Vapeur

C’est un groupe d’armateurs qui, au départ, constitue cette Association, l’A.R.P.V. : MM  Feydel, Gufflet, Bassus, Maubaillarcq, Veron, Perchepied, Bousquet, Lalande, Angibaud, auxquels se joint M. Garrigues en 1919. Ils sont désireux de vendre leur pêche directement à la clientèle par l’intermédiaire d’un organisme commun, mais aussi de constituer un groupement d’achats, en particulier celui du charbon[1].

En 1920 d’autres armements les rejoignent : Marty, Rivaille,  Société de pêche et d’armement de l’ouest (F. Darde),  Pêcheries et armement La Rochelle Océan (M. de Peyrecave), Société des pêcheries du sud-ouest (M. Holley Williams)[2].

Un groupement très vite confronté à des difficultés

L’étude des procès-verbaux du Comité de direction de l’A.R.P.V.[3]montre l’évolution de cette Association d’armateurs indépendants. L’A.R.P.V. est « désormais S.A.R.L. et à capital variable », au capital de 63 000 F, selon un acte notarié du 31-12-1925 (Comité de direction du 2-1-1926).     

Le groupement se trouve confronté à un problème majeur, à l’époque, celui de la fourniture du charbon. La grève anglaise des mineurs, qui est engagée depuis mai 1926, prive de toute importation des charbons habituellement consommés. Cela se traduit par une hausse du prix du charbon en France et des difficultés d’obtenir du charbon de la Ruhr. La flotte est immobilisée quelques jours fin octobre 1926. La reprise de la pêche se fait avec des charbons de Sarre et Moselle « au prix formidable de 400 F la tonne ». Le prix du charbon est douze fois plus élevé qu’avant guerre, alors que celui du poisson a augmenté de 7 à 8 fois (Rapport du Conseil de surveillance pour le 2e semestre 1926)

          Un autre problème apparait : la « diminution anormale des quantités de poissons pêchés. Les tonnages varient de 8 à 10 tonnes fin 1926, contre 20 tonnes et plus en 1920 et les années suivantes.(même source)

Alors que le prix du poisson diminue au 2e semestre 1928, le bilan de la société demeure  créditeur  de 69 581 F, dont seulement 11 708,75 de bénéfice effectif. Mais « il n’y a pas lieu de s’alarmer outre mesure sur l’avenir des pêches, un vaste champ d’exploitation restant ouvert à l’utilisation de sous-produits appelés à compenser le fléchissement des apports en merlus (…) » (Rapport du Conseil de surveillance du 2e semestre 1928)

 Les années 1936-39 constituent un tournant.

Des membres de  l’A.R.P.V. « ne possèdent plus de bateaux » apprend-on lors du Conseil de Surveillance du 7-2-1936. Le Comité de direction du 29-9-1936  note  que  la société  ne conserve  que 5 chalutiers, évoque la lettre du liquidateur de la Société Henri Veron et Cie. Celui du 2-10-1936 évoque la rétrocession de 3 chalutiers à M. Menu, et s’interroge sur les intentions de M. Menu : se limitera-t-il aux 3 chalutiers rétrocédés par l’Association ou désire-t-il prendre les 5 ? L’un des participants, M. Prunier fait connaître que « M. Menu ne désire pas, pour l’instant, prendre plus de 3 chalutiers ». Dans l’immédiat, les 3 chalutiers sont « en sous-location » à la Société d’importation charbonnière et maritime, dont le patron est M. Menu et qui jusqu’alors est importateur  de charbon à l’A.R.P.V., mais aussi propriétaire d’une mine de charbon. A ce titre, il a des comptoirs dans différents ports,  plus particulièrement à La Rochelle. Il fournit alors en charbon une partie des chalutiers rochelais, notamment ceux de l’A.R.P.V.[4]

La fin de l’A.R.P.V. groupement d’armateur est programmée : « En novembre (1936), l’Association n’aura plus aucune dépense d’armement à effectuer » note le Comité directeur du 14-10-1936. Les deux derniers chalutiers de l’Association, que M. Menu n’a pas voulu reprendre le Marie-Anne et le Marie-Gilberte sont « désarmés le 17 courant » (novembre 1936 » (Comité de direction du 18-11-1936).

François Menu devient l’unique propriétaire de la flotte de l’A.R.P.V. Présent au Comité de direction du 21-9-1938, « Mr Menu fait connaître qu’il s’est rendu acquéreur des navires de la flotte Pêche en mer à partir du 1er juillet 1938 ».

Ultime étape, lors du Comité du 23-3-1939, « Sur proposition de M. Menu, le Comité décide de racheter, à la date du 31-3-1939, le matériel, les installations, ainsi que les stocks de charbon appartenant à la Société d’Importation Charbonnière et Maritime (…) ».

Ainsi, M. Menu devient-il le 3e grand armateur de La Rochelle

          Lors du Comité du 18-3-1940, « M. Menu saisit le Comité d’une proposition ayant pour objet d’organiser, à partir du 1-1-1940, la comptabilité de sa flotte de manière que les résultats de l’exploitation de ses navires ne soient pas confondus avec ceux des navires de l’Association (…) ».

M. Menu et sa société, qui conserve le même nom, l’A.R.P.V., va devenir une société de capitaux sous la présidence de François E. Menu, avant de céder sa place à son fils, Jean-Claude Menu.

La famille Menu est originaire des Ardennes, ravagées par la Grande guerre. François Menu est né le 3-11-1887 à Rethel (Ardennes). A partir de 1920, il reprend une activité d’armement de cargos charbonniers destinés à approvisionner la France, notamment les ports de pêche, en anthracite du Pays de Galles[5]. Lors de la crise des années 1930, il achète vingt-quatre chalutiers à des armements en difficultés, dont trois de l’A.R.P.V. Il est décoré de la Légion d’Honneur le 22-12-1925 pour blessure sur le front, comme Lieutenant au 33e Régiment d’Infanterie.[6]

Jusqu’à sa mort en 1955, à Paris, François Menu  préside le Syndicat des armateurs à la Pêche de La Rochelle. 87 chalutiers à vapeur, puis à moteur, pêche sur le côté, puis pêche arrière à rampe avec entrepont, sont exploités successivement pendant soixante dix-ans, écrit Jean-Claude Menu[7].

Jean-Claude Menu, son fils, est né à Paris, le 12-03-1927. Il fait des études à Paris et en Grande-Bretagne. Il entre dans l’armement familial, une des plus importantes entreprises de pêche françaises, la première flotte de France[8]. Il succède à son père, qui décède en 1955, comme dirigeant de l’A.R.P.V.

L’armement Menu est le premier à La Rochelle à exploiter les chalutiers de pêche arrière, avec le Saintonge en 1966. Il en commande quatre autres unités[9]. C’est ainsi qu’en 1968, il met en exploitation l’Angoumois qui pêche jusqu’en 1991, date de son désarmement. Il constitue aujourd’hui le fleuron de la flotte à quai du Musée Maritime de La Rochelle.

Dans l’entre-deux-guerres, l’armement Menu constitue, avec les armements Dahl et Castaing, l’essentiel de la flotte de pêche industrielle, même si après la deuxième guerre mondiale « de (trop) nombreux chalutiers armés soit par des individuels, soit par des associations quirataires », s’ajoutent à ces 3 flottes.

Confronté à la crise de la pêche industrielle rochelaise, à partir de la fin des années 1970, avec la réduction des apports en poissons frais, l’appauvrissement des fonds de pêche dans le Golfe de Gascogne, et obligation d’aller pêcher plus haut, vers les côtes des Iles anglo-normandes, accentuée par la « crise pétrolière » et la hausse du prix du fuel (plus 419% entre 1972 et 1974[10]), l’armement Menu cesse définitivement ses activités d’armateur en 1984.

Un acteur de la vie économique et sportive de La Rochelle

En 1955, il succède à son père, alors Président du Syndicat des Armateurs à la pêche de La Rochelle, poste auquel il est élu en 1968. Il devient Président national de ce syndicat, de 1968 à 1999. Il est le représentant de la France pour la pêche aux Communautés Européennes et membre du Conseil Economique et social national.  Administrateur de l’I.S.T.P.M. de 1972 à 1984, il est aussi, localement, Vice -Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de La Rochelle de 1967 à 1985, membre du CODER du Poitou-Charentes, Président de la Caisse rochelaise d’Entraide aux familles de marins péris en mer, aujourd’hui encore. Il est fait Chevalier de la Légion d’Honneur en 1980[11]

Il n’a de cesse de se battre pour une « gestion de la ressource », « problème historique », qui fait l’objet de nombreux rapports, courriers et interventions locales et nationales[12].

En 1974, il n’hésite pas à vendre tous ses navires, « pour manifester d’une certaine façon sa colère et son inquiétude devant l’incompréhension des technocrates »[13]. Il garde cependant l’Angoumois, chalutier de pêche arrière moderne, mis en activité en 1970.    

Il s’investit dans le monde de  la plaisance, est l’un des principaux artisans de la création du Port de plaisance des Minimes. Il devient Vice- Président,  puis Président de la Société des Régates Rochelaises, de 1964 à 1981. Il en est le Président Honoraire. Il occupe de nombreuses responsabilités nationales dans le monde de la plaisance et de la voile. Mais il est aussi un « brillant compétiteur » : trois fois sélectionné pour l’Admiral’s Cup et trois fois champion de France.

La SARMA, une tentative des mareyeurs rochelais de maintenir la pêche industrielle

En 1984, Jean-Claude Menu décide de se séparer de  l'Angoumois. Il le vend à un armateur grec, mais le gouvernement refuse le visa et subventionne la SARMA pour le racheter.

En 1993, en panne de moteur depuis le mois d'avril 91, ce navire vieux de 23 ans a largement dépassé le temps moyen d'une carrière de chalutier. Sa remise en service nécessite des travaux trop onéreux et difficilement rentabilisables vu l'âge de ce bâtiment. La SARMA décide de s'en séparer.

Patrick Schnepp et Yves Gaubert, co-fondateurs du Musée Maritime de La Rochelle se mobilisent alors pour sauver ce témoin du patrimoine maritime rochelais. Ce type de chalutier pêche arrière a marqué en effet, toute une période de l'histoire de cette activité à La Rochelle[14]. Après une carrière de plus de 20 ans, le chalutier est offert au Musée maritime de La Rochelle qui le fait classer Monument historique en 1993. Il est devenu depuis musée à flot et se visite.

La SARMA est le dernier armement industriel, créé par les mareyeurs rochelais pour tenter de sauver la pêche industrielle. En 1991, aux côtés de l’Angoumois, la SARMA possède deux autres chalutiers industriels de 38 mètres encore en service en 1991.  En 1993, la société doit désarmer ses 2 derniers chalutiers de pêche industrielle : le Peoria et Force 17.

Les armements à la pêche : un bon investissement jusqu’en 1965

Investir dans les sociétés d’armement, dans les années 1926, puis 1950-60, constitue un placement d’un bon rapport pour les actionnaires comme pour l’armateur. Selon Philiponneau Fournier[15] : « A La Rochelle, la pêche, activité rentable jusqu’en 1965, attira des capitaux d’origine très diverse. La bourgeoisie libérale et foncière de la région, à la recherche d’affaires lucratives, investissait volontiers dans les armements, profitant des avantages fiscaux accordés aux sociétés de quirataires ».

Emile Vinet donne son témoignage[16] « Les armateurs ont gagné beaucoup d’argent. Cela a incité des gens qui voulaient s’enrichir à investir dans la pêche grâce au système des quirats. Dans les armements quirataires[17], les gens s’engageaient sur leurs biens personnels. Ce système a permis de draguer des capitaux qui cherchaient à se camoufler après la guerre. L’armement Frédéric ramassait de l’argent pour créer des sociétés de pêche et promettait  24 % de dividendes exonérés d’impôts (En réalité, l’exonération ne fonctionnait que si les dividendes étaient réinvestis dans la pêche). Mais c’est une activité très aléatoire où les investisseurs paient leurs impôts comme tout le monde et où on n’est pas toujours sûr de récupérer ses billes. Frédéric s’est enfui  au Mexique… »

Un correspondant écrit, en 1925, à l’armateur Henri Veron [18] : « Vous escomptez un bénéfice de 12 %, pour les porteurs de parts » (de votre société), ce que confirme un brouillon de lettre d’Henri Veron à envoyer pour la formation de sa nouvelle société en commandite par action, en mars 1925[19].

La fin d’une grande épopée : celle de la pêche industrielle

L’armement Dahl disparait dans la première moitié des années 1970, emporté par l’accumulation de difficultés financières. Les années 1980 sont marquées par la disparition des deux autres grands armements : la société fondée par Fernand Castaing dépose le bilan en 1981, l’A.R.P.V. de Jean-Claude Menu arrête son activité en 1984.    

Les grands armements de la pêche industrielle disparaissent avec le désarmement des derniers grands chalutiers, au début des années 1990, juste avant la mise en service du nouveau port de pêche à Chef-de-Baie en 1994. Le grand port de pêche de l’Atlantique, le deuxième de France derrière Boulogne, passe de plus de 24 000 tonnes de poissons frais débarqué à un peu plus de 2 400 tonnes en 2010.

D’autres armements à la pêche industrielle, moins grands,  ont existé à La Rochelle, tels ceux de MM. Auger[20], Laurent ou Onfroy.  Ils ont eux aussi disparu.

La décision de transférer le port de pêche à Chef-de-Baie, près du Port de Commerce de La Rochelle-Pallice, n’a pas empêché cette disparition de la pêche industrielle.

 

                                               Henri MOULINIER

                           Doctorant en histoire, Université de La Rochelle  (FFLASH) 

                           En collaboration avec le Musée Maritime de La Rochelle     

                                           - Septembre 2011-

 

 

 


[1] BIARD Vaillant, Querelles de chaluts à La Rochelle, un épisode de la pêche industrielle, Le Chasse –Marée, n°52, 10-1990 ; pp. 11-12

[2] MENU Jean-Claude, La Rochelle, deux nouveaux ports, deux destins, La Rochelle, 2002, Geste éditions et Jean-Claude Menu, p.83

[3] A.R.P.V., Procès-verbaux du Comité de direction, du 13-10-1925 au 17-2-1943, Fonds Jean-Claude MENU,  106 J, A.D. 17

[4] CAMENEN Joseph, Regards sur une vie de marin - pêcheur, 1979, Pen Duick, p. 222

[5]  JULIEN-LABRUYERE François, Dictionnaire bibliographique des charentais, Saintes, 2005, Croît Vif,            pp. 902-903.

[6] Collectif,  Mémorial de la Légion d’Honneur, p.123, , Série M .F 1635, A.D. 17

[7] MENU Jean-Claude, Op. cit, p. 83

[8] Mémorial de la Légion d’Honneur, op. cit ., p. 902

[9] CAMENEN Joseph, Op. cit., p. 159

[10] MAHE Jean-Louis, Petite histoire de la pêche rochelaise, La Rochelle,  2003, Edition personnelle, p. 124

[11] Mémorial de la Légion d’Honneur, p. 123 Op. cit.

[12] MENU Jean-Claude, Op. cit., pp. 55-60 et pp. 97-98 (Bibliographie et sources).

[13] JULIEN-LABRUYERE François, Dictionnaire bibliographique des charentais op. cit., p. 902

[14] GAUBERT Yves, Histoire de l’Angoumois, histoiresmaritimesrochelaises, Musée Maritime de La Rochelle

[15] FOURNIER Philipponneau, L’évolution récente de la pêche rochelaise, 1975, Le Norois, p.443

[16] GAUBERT Yves, VINET Emile, Ingénieur d’armement chez Dahl, site histoiresmaritimesrochelaises, Musée Maritime de La Rochelle.

[17] Quirats : parts de propriété d’un navire indivis. Lorsqu’un navire n’appartient pas à une seule personne, mais à plusieurs, on le suppose décomposé en un certain nombre de parties égales (ordinairement 24) appelées quirats, et les divers copropriétaires le sont pour un quirat, ou pour deux, ou pour trois, …

[18]  POMPON André, Lettre à Henri Veron, 18-3-1925, Fonds privé de M. François Véron, fils de l’armateur rencontré au Musée Maritime de La Rochelle, en juin 20011.

[19] Fonds privé François Veron, déjà cité.

[20] GAUBERT Yves, interview d’André Auger, site histoiresmaritimesrochelaises, op. cit.

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